Êtes-vous vraiment certain de vos certitudes… ?

Avis divergents remplis de certitudes, désaccords, vérités indéniables, croyances, … La situation actuelle est un magnifique laboratoire du fonctionnement humain. Elle met en lumière les nombreux biais cognitifs qui influencent nos jugements et nos décisions.

Un biais cognitif est défini comme une distorsion dans le traitement cognitif d’une information. C’est en quelque sorte un raccourci pris par notre cerveau à notre insu, provoqué par le Système 1, hors de la conscience du Système 2. Sa fonction première est de nous simplifier la perception de notre environnement. Cela relève d’un paradoxe intéressant. Sans les biais cognitifs, nous serions submergés par la quantité d’information à prendre en compte dans la plupart des situations ; et avec eux, nous sommes victimes de raccourcis cognitifs pas toujours heureux.
Les biais cognitifs recensés dans la littérature scientifique sont au nombre de 189, comme l’illustre élégamment le codex des biais cognitifs.

Si vous pensez que vous êtes plus alerte que vos semblables quant aux biais cognitifs, et donc moins susceptible d’y succomber, vous êtes probablement sous l’effet du biais de supériorité illusoire, qui conduit chacun de nous à se sentir supérieur aux autres dans un ou plusieurs domaines spécifiques.

Quelle que soit la situation, et l’épidémie Covid-19 n’échappe pas à la règle, les biais cognitifs influencent notre perception des éléments et la manière dont nous les agençons pour construire notre « réalité ».

Le biais d’obéissance à l’autorité nous pousse à croire et à respecter les injonctions données par une personne dont nous reconnaissons la compétence, quelqu’un que nous considérons être « expert », comme un scientifique, ou une femme ou un homme politique.
L’industrie du tabac a exploité ce biais dans les années 1940-50, en ayant recours à des docteurs en médecine afin de promouvoir la cigarette.

Face à la montagne d’informations contradictoires que nous offre internet, c’est également le biais d’obéissance à l’autorité qui conduit certaines personnes à consulter les sites internet de factchecking afin de distinguer une info d’une intox. Et cela sans même se poser la question de qui gère les « vérités » divulguées sur ces sites. Parce que s’ils s’appellent « factcheckers », ils doivent savoir.

Le biais de disponibilité rend plus prégnants les éléments auxquels nous avons été fréquemment et/ou récemment exposés, par exemple une « réalité » répétée chaque jour par les médias. Dans le même ordre d’idée, le fait de compter dans son entourage une personne « à qui c’est arrivé » rend la situation encore plus « réelle ».

Le biais de conformité nous pousse à nous conformer à l’avis général au sein d’un groupe. Il a été démontré par le psychologue Solomon Asch en 1951. Par exemple, si je ne porte pas de masque dans un endroit où celui-ci est recommandé mais pas obligatoire, et que toutes les autres personnes présentes en portent un, je serai très tenté d’en porter un également. En revanche, si je repère une autre personne qui n’en porte pas non plus, je serai conforté dans mon choix initial.

Le biais de confirmation nous conduit à rechercher tous éléments nous permettant de renforcer une certitude, aussi ténus soient-ils, tout en négligeant systématiquement les informations contradictoires. Il nous empêche de nous poser la question « Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? » Dans le même ordre d’idée, le réflexe de Semmelweis désigne notre tendance à rejeter les nouvelles données qui remettent en cause les paradigmes établis. Par exemple, si je suis persuadé qu’un virus est extrêmement dangereux, ou au contraire banal et sans danger, j’aurai tendance à rechercher toutes les informations validant ma croyance initiale.

L’oubli de fréquence de base fait de nous de piètres probabilistes (voir cet article pour un exemple). Sans prendre certaines précautions, les chiffres auxquels nous sommes quotidiennement exposés peuvent dire tout et son contraire.

Le biais d’aversion à la perte et le biais du risque zéro vont influencer nos décisions et nous pousseront à éviter le risque d’une perte (d’argent, de temps, d’un proche, etc.), ou le risque tout court. Cette tendance s’est renforcée depuis que le principe de précaution a été généralisé « pour notre bien ». Or le risque zéro n’existe pas, et chaque décision importante mériterait une sérieuse analyse bénéfice/risque préalable.


Ces deux deniers biais sont guidés par le très puissant sentiment de peur que nous pouvons éprouver dans certaines situations. La peur est la motivation la plus puissante pour l’être humain. Elle peut provoquer les réactions les plus irrationnelles, et nous amener à nous asseoir sur les valeurs qui habituellement régissent nous comportements et nos choix. La peur provoque du stress, et les hormones du stress inhibent notre Système 2, ce qui nous rend incapables d’analyser la situation et d’y apporter une réponse plus appropriée. Nos réactions sont alors guidées par un Système 1 dégradé, motivé par sa seule survie.

Depuis la nuit des temps, la puissance de la peur est bien comprise et maîtrisée par les services de communication, qu’ils soient liés à un parti politique, une religion ou un groupement idéologique.

Comment pouvons-nous nous affranchir (autant que possible) de ces biais cognitifs, de manière à démontrer des comportements plus réfléchis ? En renforçant notre Système 2, seul à pouvoir cadrer son homologue, le Système 1. De nombreuses études suggèrent que la pratique de la méditation, de la pleine conscience, et de toutes les pratiques associées, renforcent notre faisceau neural fronto-strial [1] et facilitent l’accès à notre Système 2.


[1] Sébastien Bohler, Le bug humain : Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher, Robert Laffont, 2019.

Et vous, tomberez-vous facilement dans le panneau ?

Sur l’image ci-dessous, si je vous dis que la couleur de fond des cases marquées A et B est la même (vous pouvez vérifier), vous continuerez à voir que le fond de la case A est plus foncé que celui de la case B [1].

Les illusion visuelles sont une forme de biais cognitifs. Un biais cognitif est un processus mental automatique, donc géré par notre Système 1, que nous avons tendance à reproduire systématiquement dans certaines situations. Un biais cognitif s’apparente à un bug de notre esprit, qui nous conduit à adopter des comportements inefficaces en comparaison à l’extraordinaire capacité de réflexion de notre Système 2 [2]. On peut donc se poser la question de leur raison d’être. Certains biais sont probablement des réminiscences de fonctionnements qui ont jadis été utiles à la survie de notre espèce, alors que d’autres résultent d’adaptations à notre environnement. Ils sont nombreux : 189 ont été recensés par les créateurs du Codex des biais cognitifs [3].

Ce qui est troublant concernant les biais cognitifs, c’est que même lorsque nous en connaissons l’existence et que nous savons dans quelles situations ils sont susceptibles de nous impacter, nous tombons presque systématiquement dans le panneau.

Celui que j’appelle le bais cognitif #1 est le biais de supériorité illusoire. Il nous conduit à nous sentir meilleurs que les autres dans une série de domaines usuels, comme conduire une voiture [4] ou mener à bien ses études [5]. Et il nous persuade que nous sommes davantage capables que nos semblables de déjouer les biais cognitifs. Or un peu de recul (Système 2) nous fera prendre conscience que c’est faux.

Avant de parcourir brièvement les principaux biais cognitifs affectant notre représentation de la situation et nos prises de décision, je rappellerai que notre Système 2 est affaibli en tout ou en partie lorsque nous sommes fatigués, stressés, lorsque nos besoins physiologiques primaires ne sont pas satisfaits, ou lorsque nous sommes sous l’emprise d’alcool ou de drogue. Dans ces états, nous sommes donc encore plus susceptibles de nous faire avoir.

« Notre capacité de réflexion est inhibée par le stress, donc par la peur »

WYSIATI

« What You See Is All There Is », que l’on peut traduire par « Il n’y a rien d’autre que ce que vous voyez ». Dans la majorité des situations auxquelles nous sommes confrontés, nous acceptons la conclusion qui nous est rapidement servie par notre Système 1, sans chercher plus loin.

Biais d’attention

Nous avons tendance à voir notre perception affectée par nos pensées du moment. Par exemple, une femme venant d’apprendre qu’elle attend un enfant a tendance à voir des femmes enceintes, des crèches et des aires de jeu partout.

Bais de disponibilité

Les situations que nous avons rencontrées souvent et/ou récemment nous reviennent plus facilement en mémoire que les autres, et influencent notre raisonnement.

Biais d’obéissance à l’autorité

Nous avons tendance à nous en remettre aux personnes qui représentent une autorité dans leur domaine. Dans l’environnement professionnel, sans un cadre approprié, les liens de subordination peuvent donc facilement se transformer en lien de soumission.

Biais de conformité

Si nous devons donner notre avis au sein d’un groupe, les avis énoncés avant nous par d’autres personnes risquent de nous influencer, surtout s’ils sont unanimes. Le groupe influence nos comportements.

Biais d’habitude

Consiste à tirer des conclusions hâtives et prendre des décisions automatiques sous prétexte que « C’est chaque fois comme ça » ou « On a toujours fait comme ça ».

Effet de halo

Ce biais cognitif affecte notre perception qui va dans le sens de notre première impression. Lorsque nous attribuons un trait positif à une personne, nous avons tendance à lui trouver d’autres caractéristiques positives. C’est également vrai pour les traits négatifs. « Il n’est jamais très soigné, il ne doit pas être intelligent » ou « C’est une jolie femme, elle doit être compétente. »

Aversion à la perte

Nous détestons la sensation de perdre quelque chose (argent, temps, réputation, etc.) Pour qu’un bénéfice potentiel soit perçu comme équilibrant une perte, il doit être de l’ordre de 2,5 fois plus grand que la perte.

Biais de confirmation

Consiste à faire correspondre la réalité à ses hypothèses et ses attentes. Notre cerveau fabrique de la vraisemblance, il fait correspondre nos perceptions à nos croyances. Notre mode automatique est dans une recherche de cohérence par association avec ce qu’il connaît et le rassure.

Le fait de connaître ces biais et leurs implications ne nous permettra que difficilement de ne pas tomber dans le panneau en situation dynamique. En revanche, cela nous aidera à détecter si nos collègues sont en train de se laisser influencer. En équipe, cela nous permettra de Mieux Réussir Ensemble.

Pour conclure, est-il nécessaire que je précise que les professionnels de la communication, les médias, les politiques, les marketeurs, etc. ont une excellente connaissance de ces fonctionnements ? Peut-être les utilisent-ils à nos dépends…


[1] http://persci.mit.edu/gallery/checkershadow
[2] Daniel Kahneman, Système 1 / Système 2 – Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012
[3] https://inertian.wixsite.com/codexbiais
[4] Ola Svenson, Are we all less risky and more skillful than our fellow drivers?, Acta Psychologica 47, pp. 143-148, 1981
[5] Zuckerman et John T. Jost, « What Makes You Think You’re So Popular? Self Evaluation Maintenance and the Subjective Side of the « Friendship Paradox » », Social Psychology Quarterly, American Sociological Association, vol. 64, no 3,‎ 2001, p. 207–223