Êtes-vous capable de résister ?

En 1968, le psychologue américain Walter Mischel a eu une idée originale. Il a installé des enfants de 4 et 5 ans seuls dans une pièce, assis sur une chaise, face à une table sur laquelle se trouvait un chamallow et une cloche. Il leur proposait ce deal : « Je reviens dans 5 minutes. Si tu souhaites manger le chamallow avant que je revienne, sonne la cloche. Dans ce cas, tu auras alors un seul chamallow. En revanche, si tu n’as pas sonné la cloche quand je reviens, je t’en donnerai un deuxième et tu pourras les manger tous les deux. »

Internet regorge de vidéos filmées lors des nombreuses reproductions du test du chamallow, dans diverses versions, et il est cocasse d’observer les réaction des enfants. En voici un exemple.

La partie la plus intéressante de cette expérience est à venir. En effet, pendant plusieurs décennies après avoir réalisé ce test, Walter Mischel a suivi les enfants (devenus adultes) qui avaient participé à ce test. Il a observé une forte corrélation entre le fait d’avoir résisté à la récompense immédiate (manger un chamallow tout de suite) et les réussites scolaire, sociale, familiale et professionnelle. Ces personnes étaient également en meilleure santé. Il a publié un livre relatant ces découvertes.

En fait, les enfants qui ont résisté à la tentation ont généralement mis en place une stratégie afin de détourner leur attention de l’objet de la tentation. C’est cette capacité à maîtriser son attention qui semble décisive dans les réussites observées.

Plus récemment, le chercheur français Olivier Houdé du laboratoire LaPsyDé a publié plusieurs travaux et ouvrages en relation avec la capacité d’inhibition de notre cerveau. L’inhibition dans ce contexte, c’est la capacité à bloquer nos réactions automatiques du Système 1 pour confier la gestion de la situation à notre Système 2 afin d’y apporter une réponse appropriée.

Houdé a notamment revisité les travaux de Piaget, sans remettre en cause leur pertinence, mais en proposant des conclusions radicalement différentes. L’apprentissage chez l’enfant ne se ferait pas par seuils successifs, mais par le développement de stratégies capables d’inhiber les réponses automatiques erronées, liées à des connaissances déjà acquises.

À gauche (A), les seuils successifs d’apprentissage de Piaget. À droite (B), le développement des stratégies d’inhibition de Houdé.

Prenons un exemple. Très tôt dans notre existence, nous apprenons qu’un objet vu sous différents angles reste le même objet. Une chaise vue de dos, de face ou de profil gauche ou droit, cela reste la même chaise, le même objet. Puis un jour, nous apprenons à lire. Et là, nous sommes confrontés à ces 4 symboles identiques et pourtant bien différents :

Afin de ne pas commettre d’erreur à la lecture, nous devons inhiber la règle « un objet présenté selon différents angles de vue reste le même objet ». Cette stratégie d’inhibition va mettre un moment à s’installer, raison pour laquelle au début nous nous trompons souvent, puis de moins en moins, puis seulement une fois de temps en temps, notamment lorsque nous sommes fatigués ou stressés.

Un exercice d’inhibition bien connu est le test de Stroop représenté ci-dessous. L’objectif est de dire à haute voix et le plus rapidement possible la couleur utilisée pour écrire chacun des mots. Cela nécessite d’inhiber la réponse automatique liée à la lecture du mot.

Il est possible d’améliorer sa capacité d’inhibition, d’entraîner son cerveau à résister. Pour les enfants, je recommande les coffrets « Entraîner son cerveau à résister » (Nathan) développé par LaPsyDé.

Et pour les adultes, tout n’est pas perdu ! Nous pouvons nous inspirer des exercices proposés par Roy Baumeister [1]. Afin de développer notre volonté, nous pouvons par exemple :

  • Utiliser notre main non dominante pour réaliser des gestes de la vie quotidienne (ouvrir les portes, tenir son verre lorsqu’on boit,…)
  • Redresser notre posture lorsque nous nous rendons compte que nous sommes avachis
  • Arrêter de dire des gros mots
  • Nous exposer nous-mêmes au test du chamallow, en gardant un nôtre mignon à proximité sans y toucher

Développer notre capacité d’inhibition n’est pas seulement utile pour nous permettre de résister aux multiples tentations quotidiennes. En apprenant à intercepter les réactions automatiques de notre Système 1, nos neurones inhibiteurs nous rendent également capables d’endiguer les scénarios inefficaces que nous répétons inlassablement. Une dispute systématique avec un proche qui est toujours en retard, un conflit répété avec un voisin parce que les aiguilles de ses sapins bouchent nos gouttières, un enfant qui n’a de nouveau pas rangé sa chambre,… et nous démarrons au quart de tour. La routine est bien huilée, le script est connu, les répliques fusent, chacun joue à la perfection ce rôle si souvent répété. Et comme d’habitude, nous nous quittons fâchés. Et comme d’habitude, lorsque la tension finit par retomber, nous nous promettons pour la xième fois qu’on ne nous y reprendrait plus !

« Entre le stimulus et la réponse, il y a un espace, et dans cet espace se trouve notre pouvoir de choisir notre réponse ; et dans notre réponse se trouve notre grandeur et notre liberté. » Viktor Frankl

Développer sa capacité d’inhibition, c’est apprendre à prendre le recul nécessaire à l’élaboration d’une réponse appropriée en lieu et place d’une réaction automatique inefficace. C’est apprendre à être en ouverture (Système 2) plutôt qu’en contraction (Système 1). C’est faire place à l’acceptation, la curiosité et la nuance plutôt que la rigidité, les certitudes et la binarité. C’est, pour reprendre l’expression de Jacques Fradin, apprendre à préfrontaliser [2]. C’est formidable, n’est-ce pas ?

Le cortex préfrontal, siège de l’essentiel du Système 2

Certains se poseront peut-être la question de la localisation de l’inhibition dans le modèle Système 1 / Système 2. À titre personnel, j’ai toujours placé l’inhibition dans le giron du Système 2. En effet, elle en possède toutes les caractéristiques : elle demande des ressources, et lorsque nous sommes stressés, fatigués, lorsque nous avons faim ou lorsque notre ego se sent menacé, nous inhibons beaucoup moins bien.

De son côté, Olivier Houdé propose l’ajout d’un Système 3 au modèle, une sorte d’aiguillage qui va confier la gestion de la situation soit au Système 1, parce qu’un traitement automatique est approprié, soit au Système 2, dans le cas de nécessité d’impliquer nos fonctions exécutives. Il semble qu’il ait fait ce choix pour des raisons essentiellement didactiques.

Attention à la notion de fiabilité sur ce schéma ! La plupart du temps, notre Système 1 nous permet d’atteindre le niveau de performance recherché. Et occasionnellement, il peut arriver qu’il se trompe.

Au final, que l’on situe l’inhibition dans le Système 2 dans un nouveau Système 3 n’est qu’un détail. Et ce qui importe dans un modèle, c’est son utilité. Ce qui importe ici, c’est de développer notre capacité d’inhibition, pour notre confort et celui des personnes qui nous côtoient.


[1] Roy Baumeister, Willpower: Why Self-Control is the Secret to Success, Penguin
Books, 2012.
[2] Jacques Fradin, L’intelligence du stress, Éditions d’Organisation, 2008.

Faire de son stress un allié

Lorsque j’ai publié Mieux Réussir Ensemble en 2019, j’avais réalisé de nombreuses recherches sur le stress étant donné son impact sur la disponibilité du Système 2.

Dans cette section, j’ai listé une série de conséquences néfastes d’un stress chronique sur notre santé, et proposé quelques stratégies permettant d’y faire face : respiration et cohérence cardiaque, gestion des modes mentaux, acceptation, pleine conscience, optimalisme.

Et voilà qu’au détour d’une conférence TED, la psychologue américaine Kelly McGonigal nous propose une découverte importante : l’effet du stress sur notre santé est fonction de la façon dont nous le percevons. Si nous en faisons un ennemi, il aura des conséquences néfastes ; s’il est allié, il aura un impact positif ! Tel est l’influence de notre mental sur notre santé.

Une étude réalisée sur une cohorte de 30,000 personnes pendant 8 ans a montré que « Les personnes qui ont subi beaucoup de stress au cours de l’année précédente avaient un risque accru de mourir de 43 %. Mais ce n’était vrai que pour les personnes qui croyaient également que le stress est nocif pour la santé. Les personnes qui subissaient beaucoup de stress mais ne considéraient pas le stress comme nocif n’étaient pas plus susceptibles de mourir. En fait, ils avaient le plus faible risque de mourir parmi tous les participants à l’étude, y compris les personnes relativement peu stressées. »

« Les personnes qui subissaient beaucoup de stress mais ne considéraient pas le stress comme nocif n’étaient pas plus susceptibles de mourir. »

Dans une étude réalisée à l’Université de Harvard, les chercheurs ont montré que le fait de considérer son stress comme un allié a un impact physiologique : si notre rythme cardiaque s’accélère comme dans le cas d’un stress anxiogène, nos vaisseaux sanguins ne se contractent pas contrairement au cas d’un stress anxiogène. Or cette contraction résulte en de possibles complications cardiaques. Le fait de considérer son stress comme un allié a un impact positif sur notre santé.

Kelly mentionne aussi le fait que lorsque nous vivons un épisode de stress, notre corps produit certes de l’adrénaline mais également de l’ocytocine, l’hormone de la générosité, de l’amitié, de l’empathie et de l’amour : « Et lorsque l’ocytocine est libérée lors d’un épisode de stress, cela vous motive à demander de l’aide. Votre stress biologique vous pousse à partager que vous ressentez au lieu de le refouler. Et votre stress veut également faire en sorte que vous remarquiez quand quelqu’un d’autre se débat, afin que vous puissiez vous soutenir mutuellement. Lorsque la vie est difficile, votre réaction au stress veut que vous soyez entouré de personnes qui se soucient de vous. »

« Lorsque la vie est difficile, votre réaction au stress veut que vous soyez entouré de personnes qui se soucient de vous. »

Par ailleurs, l’ocytocine est un anti-inflammatoire puissant dont un rôle est de protéger notre système cardiovasculaire des effets du stress. Et plus nous entretenons des relations sociales saines et constructives, plus nous en sécrétons. Et Kelly cite une autre étude menée sur 1000 adultes âgés de 34 à 93 ans et traversant une situation difficile (divorce, difficultés financières, etc.). Le risque de décès au sein de cette population était supérieur de 30%, sauf pour les personnes qui prenaient soin d’autres personnes. « Prendre soin d’autrui » est bénéfique à notre santé.

Et Kelly termine sur cette autre phrase optimiste : « Une chose que nous savons avec certitude, c’est qu’il est préférable pour votre santé de rechercher le sens que d’essayer d’éviter l’inconfort. »

« Une chose que nous savons avec certitude, c’est qu’il est préférable pour votre santé de rechercher le sens plutôt que d’essayer d’éviter l’inconfort. »

Êtes-vous « bruyant » ?

Depuis quelques années, les biais cognitifs ont la cote. Il y a une bonne raison à cela : de nombreuses études et expériences ont montré que les biais s’invitent presque systématiquement dans nos choix et nos prises de décision. Biais de confirmation, de conformité, d’habitude, d’obéissance à l’autorité, de supériorité illusoire, de disponibilité, etc., 189 biais ont été recensés [1]. Ils ont généralement un impact peu souhaitable. En conséquence, s’atteler à réduire nos biais cognitifs est un objectif louable.

Mais… il n’y a pas que les biais qui polluent nos jugements.

En 2021, Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass Sunstein ont publié  « Noise, a flaw in human judgment » (Le bruit, une faille dans le jugement humain).

Le  « bruit » dans cette acception est bien connu des scientifiques et des ingénieurs. Dans le domaine des télécommunications, il est défini comme  « la vibration des particules d’un milieu présentant un caractère erratique, statistiquement aléatoire. » [2] Alors que les biais conduisent à un écart de jugement plus ou moins systématique et prévisible, le bruit vient ajouter à nos jugements une composante aléatoire.

Alors que les biais conduisent à un écart de jugement plus ou moins systématique et prévisible, le bruit vient ajouter à nos jugements une composante aléatoire.

Comment différencier biais et bruit ?

Prenons un exemple. Imaginons que vous alliez au stand de tir avec des collègues et connaissances. Vous constituez 4 équipes de 6 joueurs. Chacun à droit à un essai. L’objectif est d’atteindre le centre de la cible. Après l’exercice, l’analyse des cibles révèle les schémas suivants.

À votre avis, quelles équipes sont biaisées (écart systématique) et quelles équipes sont victimes de bruit (écart aléatoire) ?

Équipe # 1 : pas de biais, peu de bruit
Équipe # 2 : biais important, peu de bruit
Équipe # 3 : pas de biais, beaucoup de bruit
Équipe # 4 : biais important, bruit important

Nous pouvons aisément nous rendre compte qu’un écart de performance (l’objectif étant ici d’atteindre le centre de la cible) sera diminué si l’on réduit les erreurs systématiques (biais) et/ou si l’on réduit les variations aléatoires (bruit). Par ailleurs, la connaissance du niveau de biais permet une certaine forme de prédictibilité. Je m’attends à ce que si les équipes #1 et #2 tirent un nouveau coup, elles atteignent respectivement le centre et la partie supérieure gauche de la cible. Pour l’équipe #3, toute prédiction est impossible. Pour l’équipe #4, elle est limitée (moitié gauche de la cible).

L’influence du bruit dans différents domaine

De nombreuses études ont été menées afin de déterminer les conséquences du bruit dans nos jugements.

  • Entreprises : variations lors d’entretiens d’embauche et de performance reviews, ainsi que dans les prises de décision en général.
  • Judiciaire : condamnations très hétérogènes par différents juges suite à un même crime.
  • Santé : différences dans les diagnostics. C’est chez les psychiatres que la situation semble la plus préoccupante.
  • Assurances : écarts significatifs dans le calcul des primes.
  • Enseignement : cotation hétérogène de travaux similaires.
  • Etc.

Différents types de bruit

Pattern noise : plusieurs personnes vont accorder une importance inégale à différentes caractéristiques de la situation. Par exemple, lors d’un entretien d’embauche, un interviewer met la priorité sur les langues étrangères alors qu’un autre met la priorité sur les compétences informatiques. Leur évaluation du candidat sera différente.

Level noise : plusieurs personnes vont noter différemment une même caractéristique de la situation. Par exemple, lors d’une évaluation, un interviewer attribue une note de 8/10 au candidat pour son niveau d’anglais, alors qu’un autre lui donne une note de 4/10.

Occasion noise : des études ont montré que nous sommes généralement dans de meilleures dispositions quand l’équipe sportive que nous soutenons a gagné un match la veille, ou quand le soleil brille. Par contre, nous devenons plus sévères lorsque la faim nous gagne.

Comment diminuer le bruit ?

Kahneman, Sibony et Sunstein suggèrent de procéder à un audit de bruit. Dans les grandes lignes, cela consiste à soumettre des problèmes identiques à différentes personnes, et à mesurer les divergences de leurs réponses.
Ensuite, ils rappellent l’importance des formations dans la standardisation des jugements. L’idée est de réduire l’écart-type des évaluations par les personnes concernées.
Enfin, là où c’est possible, le recours à l’intelligence artificielle permet de supprimer le bruit. En effet, un algorithme confronté à la même situation donnera toujours le même résultat.


[1] https://medium.com/better-humans/cognitive-bias-cheat-sheet-55a472476b18
[2] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/bruit/11476

Parce que nous sommes WEIRD (étranges)…

En quoi se distinguent les principes d’éducation de peuplades ancestrales de nos principes d’éducation ? Qu’est-ce qui fait que nos cultures WEIRD (Western-Educated-Industrialized-Rich-Democratic) ont des résultats très discutables en matière d’éducation ?

Michaeleen Doucleff s’est posé ces questions alors qu’elle rencontrait des difficultés relationnelles persistantes avec sa fille de 3 ans. Journaliste, elle a décidé de partir en quête de ce que des peuplades ancestrales appliquaient comme principes dans l’éducation de leurs enfants. Elle partage ses découvertes dans un ouvrage passionnant.

Chez les Mayas, Michaeleen découvre que les enfants ont un besoin fondamental de coopération, et que ce besoin doit être entretenu afin de ne pas s’éteindre. Dans nos cultures WEIRD, nous avons tendance à trouver des occupations pour nos enfants pendant que nous nous occupons des « choses importantes ». Chez les Mayas, les enfants sont régulièrement invités à participer à ces choses importantes, et ils ont tendance à en redemander spontanément.

Chez les Inuits, l’auteure découvre l’intelligence émotionnelle dès le plus jeune âge. Les adultes sont capables de maîtriser leurs émotions et s’adressent toujours aux enfants de manière posée, quel que fût leur comportement. Ils savent que les fonctions exécutives (Système 2) de leurs jeunes cerveaux ne pas encore développées. Il est donc normal que ceux-ci fassent des « bêtises » et aient des comportements inappropriés. Ils expliquent que crier sur un enfant est ridicule car cela a pour conséquence d’inhiber complètement ses rares fonctions exécutives, ce qui a pour effet de fermer les canal de communication et de rendre la situation encore plus difficile.

Chez les Hazdas, Michaeleen découvre l’autonomie. L’autonomie au sens de l’interdépendance, à mettre en opposition avec l’indépendance égotiste. Chacun, dès le plus jeune âge, apprend quelle est la mission du groupe et agit en fonction de ce qu’il estime être favorable à l’atteinte de l’objectif commun. Les enfants bénéficient de nombreuses libertés, pour autant que leurs agissements soient utiles au collectif.

Coopération. Intelligence émotionnelle. Autonomie dans la recherche de l’objectif commun. Voilà autant de compétences utiles dans n’importe quel collectif, fût-il professionnel, sportif, associatif, familial, etc.

Et quelles sont les conséquences de ces comportements ? Bien-être, performance, efficience, et une spirale de renforcement positif au bénéfice du collectif...

Le restaurant le mieux coté de Londres n’existe pas !

L’histoire se passe en 2017. Oobah Butler, chroniqueur alimentation et lifestyle, est sollicité par plusieurs restaurants lui proposant de laisser un commentaire favorable sur leur page TripAdvisor sans même les avoir visités, en échange d’une transaction financière.

Une question lui vient alors : s’il créait un restaurant fictif, à quelle position serait-il capable de le pousser dans le classement du site d’évaluation ?

Butler invente alors le Shed at Dulwich, restaurant sur réservation uniquement pour lequel il crée un site internet sommaire.

The Shed at Dulwich

En simulant une disponibilité à plusieurs semaines expliquée par un soi-disant succès important, Butler crée une attrait important.

En quatre mois seulement, le classement du restaurant fictif passe de la 18149e place à la 156e place dans TripAdvisor Londres. Puis la farce a fait boule de neige de manière inattendue. Des fournisseurs potentiels ont commencé à envoyer des échantillons gratuits. Des travailleurs potentiels ont pris contact afin d’offrir leurs services. Un conseil municipal a proposé au restaurant de déménager dans un quartier en cours de rénovation. Une société de production a offert ses services afin de présenter le restaurant sur des vidéos aériennes.

Les photos des plats affichés sur le site n’étaient pas particulièrement originales…

… si ce n’est concernant les ingrédient mis en scène.

Le 1er novembre 2017, le Shed at Dulwich, le restaurant qui n’existait pas, a atteint la première place du classement des restaurants londoniens dans TripAdvisor.

Et vous, quelles sont vos sources d’influence sur internet ? Quel crédit accordez-vous aux avis des internautes ? Quelle confiance abandonnez-vous aux plateformes collaboratives de type Wiki ?

Source : Andrew Bender sur Forbes.com

Les bonnes résolutions, c’est surtout pour les autres ?

Je reçois régulièrement des demandes de la part d’entreprises qui me partagent un constat parmi les suivants.

Un dirigeant : « Nos employés manquent de motivation. Certains sont là depuis longtemps. Pouvez-vous les aider ? »

Un responsable RH : « Nous souhaitons que nos collaborateurs retrouvent le plaisir de travailler chez nous. Pouvez-vous les accompagner ? »

Un responsable sécurité : « Nous mesurons une recrudescence de blessures et d’accidents divers. Pouvez-vous les conscientiser ? »

Alors j’invite ces personnes à se poser ces questions :

« Quelle est ma responsabilité en tant que dirigeant, quelle est la responsabilité de l’entreprise dans la dégradation observée ? Suis-je prêt à investir du temps et de l’énergie, suis-je disposé à faire évoluer mes propres pratiques afin que nous puissions tous Mieux Réussir Ensemble ? »

L’évolution d’une culture s’appuie sur deux ingrédients essentiels : l’exemplarité et le mimétisme.

Mieux Réussir Ensemble, c’est viser davantage de sécurité, de performance, d’efficience et de bien-être. Et c’est un projet commun, qui commence par un engagement des dirigeants pour une évolution des pratiques managériales. L’évolution d’une culture s’appuie sur deux ingrédients essentiels : l’exemplarité et le mimétisme.

En cette année nouvelle, je vous présente mes Meilleurs Vœux et vous invite à vous poser les bonnes questions.

Savoir reconnaître quand il est temps de changer de paradigme : ce que l’aéronautique peut nous enseigner.

L’impératif dans mon métier de pilote de ligne consiste à fournir le plus haut niveau de sécurité à mes passagers. Cet impératif prime sur tous les autres objectifs de performance. Mais cela n’a pas toujours été le cas. L’aviation civile est passée par une série changements de paradigmes au fil des dernières décennies.

Les années 50’s, c’était l’époque des héros. La plupart des pilotes étaient des « As » de la seconde guerre mondiale, recrutés par les compagnies aériennes pour transporter leurs passagers. On pouvait par exemple lire dans un magazine de l’époque : « Sur AIR FRANCE, vous êtes toujours conduit par un équipage d’élite. » Le commandant de bord était le seul maître à bord après Dieu. Le reste de l’équipage éprouvait les plus grandes difficultés à lui faire entendre raison lorsqu’il se trompait. La taille de son ego se mesurait à celle de l’avion qu’il pilotait.

Dans la continuité de l’époque des héros, les années 70’s ont été marquées par l’idée que l’erreur était inacceptable. « Les bons professionnels ne font pas d’erreur. » Résultat : lorsque des erreurs étaient commises, elles étaient cachées. Les erreurs anodines n’avaient pas de conséquence visible, mais d’autres étaient mortelles. La série noire de crashes pendant cette décennie fit des milliers de morts.

L’accident le plus meurtrier de l’histoire de l’aviation civile reste celui de Tenerife survenu le 27 mars 1977. Ce jour-là, le vol KLM 4805 a décollé sans autorisation et a percuté le vol Pan Am 1736 qui roulait sur la piste. Plusieurs facteurs au contribué au drame : brouillard, pression temporelle, difficultés de communication, mais surtout l’incapacité du copilote et du mécanicien navigant du vol KLM de faire entendre à leur commandant de bord leur doute quant à l’autorisation de décollage. Bilan : 583 morts.

Dorothy Kelly – The Tenerife Air Disaster.
Reconstitution de l’accident de Tenerife

À la suite de ces nombreux accidents, une enquête fut menée par la NASA. Ses conclusions, rendues à San Francisco en 1979, furent sans appel. En grande majorité, ces crashes étaient dus à des dysfonctionnements au sein des équipages : leadership inadéquat ; incapacité à déléguer et à confier des responsabilités; incapacité à établir des priorités ; incapacité à exploiter les informations disponibles.

Dans les années 80’s, cela donna naissance au CRM, le Crew Ressource Management (gestion des ressource de l’équipage). Depuis lors, tous les pilotes et personnels de cabine suivent une formation continue visant à développer des compétences leur permettant de Mieux Réussir Ensemble. Cette formation est réglementaire et tend depuis quelques années à s’étendre à d’autres métiers des compagnies aériennes.

Modèle de compétences pilotes d’AIRFRANCE, version 2021

En parallèle, l’erreur a été reconnue comme faisant partie intégrante du fonctionnement humain grâce aux travaux de psychologues comme James Reason et Jans Rasmussen. Cela contribua à dégonfler certains egos. « Erreur et performance sont les deux faces d’une même pièce. » Les erreurs devenant avouables, cela permit notamment la mise en place d’un système de partage d’expérience déculpabilisant, l’objectif étant d’apprendre afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs, pas de chercher des coupables.

« Erreur et performance sont les deux faces d’une même pièce. »

Les années 90’s furent celles des Facteurs Organisationnels et Humains. Le principe en est simple. Lorsqu’un professionnel commet une erreur, c’est souvent parce qu’une condition latente, une condition propice à ce que cette erreur soit commise, est présente dans le système. Les FOH s’intéressent donc à la responsabilité des organisations dans les erreurs des opérateurs de première ligne. Objectifs contradictoires ; agendas cachés ; procédures inadaptées ; matériel défaillant ; manque de ressources ; charge de travail excessive ; etc.

Enfin, depuis une dizaine d’années, nous sommes à l’ère de la résilience. En intégrant les différents paradigmes développés depuis les années 80’s, notamment le CRM et les FOH, les compagnies aériennes améliorent continuellement leur capacité à faire face à la complexité croissante à laquelle elles ne peuvent échapper. Les quatre piliers de cette résilience sont l’anticipation (notamment des risques er des opportunités), la surveillance de la situation (incluant la prise en compte des informations pertinentes), la capacité de réponse aux événements et l’apprentissage continu (adaptation).

Je suis à la fois fier et chanceux de faire partie de cette industrie qui a réussi à se remettre continuellement en question au service de ces clients.

Aujourd’hui, grâce à tout le chemin parcouru, aux changements de paradigmes successifs et aux évolutions technologiques, vous devriez prendre l’avion tous les jours pendant 6033 années avant d’être victime d’un accident dans lequel au moins un passager serait tué (IATA, 2017).

Quelle influence avez-vous sur le mindset des autres ?

Dans mon dernier post, je vous avais présenté les deux états d’esprit identifiés par Carol Dweck et son équipe : le fixed mindset et le growth mindset. Je vous avais également proposé quelques exemples de comportements attestant de l’un ou l’autre. Et j’avais terminé par une bonne nouvelle : nous avons tous la possibilité de développer un growth mindset.

Crédit : strengthscope.com

Au travers de nombreuses recherches, Dweck a établi que notre mindset est façonné par nos interactions avec nos parents, nos professeurs, nos tuteurs et autres coaches.

Par exemple, notre capacité à entendre un feedback critique et constructif, puis à le prendre en compte dans une démarche d’amélioration et de dépassement, semble dépendre en grande partie de nos expériences d’enfant.

Soit nous avons régulièrement été mis face à nos responsabilités et encouragés : « Tu as échoué parce que tu n’as pas assez travaillé, libre à toi de faire en sorte d’être mieux préparé la prochaine fois. » (growth mindset)

Soit nous avons été surprotégés par rapport à nos échecs : « C’était trop difficile pour toi, ce n’est pas de ta faute. » (fixed mindset)

D’autre part, les éloges dont nous gratifions parfois nos petits trésors ont un impact négatif sur leur mindset. « Tu as été très rapide dans la résolution de ce problème, tu es intelligent ! » peut faire plaisir et booster l’enfant à court terme. Mais sur le plus long terme, celui-ci risque d’être impacté par le corollaire de cette phrase : « Si j’échoue ou si je ne suis pas aussi rapide à l’avenir, je ne serai plus considéré comme étant intelligent, donc je ne vais pas me risquer à la résolution de problèmes plus compliqués. »

Dans sont excellent livre « Mindset », Dweck propose quelques exemples d’interactions parent/enfant ou prof/enfant, afin de nous aider à prendre conscience de l’importance de notre propre mindset et de la communication qui en découle.

Fixed : Tu as eu le maximum au test sans même etudier, qu’est-ce que tu es intelligent ! 
Growth : Tu as eu le maximum au test sans même etudier, il devait être beaucoup trop facile pour toi.

Fixed : Je comprends que tu sois déçu. Moi je trouve que tu aurais dû gagner cette compétition, ce n’est pas juste.
Growth : Je comprends que tu sois déçu, mais les autres compétiteurs pratiquaient depuis plus longtemps que toi. Continue à t’entraîner et tu y arriveras.

Fixed : Je comprends que tu aies envoyé valdinguer ce puzzle, il a l’air très difficile. Je n’ai jamais été très doué en puzzle non plus.
Growth : Ce puzzle a l’air difficile, mais ce n’est pas une raison pour l’envoyer valdinguer. Je te propose d’en essayer un plus facile. Tu reviendras à celui-ci plus tard.

Fixed : Tu as de nouveau renversé ton verre, tu es vraiment maladroit !
Growth : Quand on renverse son verre, on va chercher une serpillère et on éponge.

Fixed : Tu n’es peut-être pas fait pour ça.
Growth : C’est nouveau pour toi, c’est normal que tu trouves cela difficile. Tu verras, à force de pratiquer, d’essayer différentes stratégies, de poser des questions, tu seras de plus en plus confiant.

Et dans notre environnement professionnel, en tant que manager ou que « simple » collègue, ne tirerions-nous pas quelque bénéfice à développer un growth mindset ?

Quel est votre mindset ?

Êtes-vous plutôt du genre à penser que…

  • le talent est inné ;
  • certains sont « doués » pour le sport alors que d’autres le sont pour la musique ;
  • l’intelligence est essentiellement déterminée à la naissance ;
  • certaines personnes ne changeront jamais ;
  • on est (naît) leader ou on ne l’est pas ?

Ou alors, selon vous, est-ce que…

  • le talent se développe par l’apprentissage assorti d’une pratique assidue ;
  • tout le monde a la capacité d’apprendre à jouer d’un instrument de musique ou d’atteindre un niveau en sport, en fonction du temps et de l’effort qu’il y consacre ;
  • l’intelligence est multiple et s’enrichit au fil de nos experiences, de nos rencontres, de nos efforts, de nos échecs et de nos réussites ;
  • tout le monde peut changer, surtout si la motivation nous accompagne ;
  • le leadership est une compétence comme une autre, que l’on peut développer par l’apprentissage, le feedback et la pratique ?

Selon Carol Dweck et son équipe, si les cinq premières affirmations ci-dessus font écho, votre minset, votre état d’esprit, est « fixe » (fixed mindset). Si ce sont les cinq suivantes, il est orienté développement et croissance (growth mindset).

Quelques conséquences parmi d’autres ?

fixed mindset : cherche à être vu comme étant « brillant », évite les difficultés, abandonne facilement face à un obstacle, n’apprécie pas les feedbacks, est défini par ses réussites et ses échecs, voit une menace dans la réussite des autres.

growth mindset : cherche à apprendre, aime relever les défis, voit les difficultés comme une occcasion de grandir, recherche du feedback, travaille ses axes d’amélioration, est inspiré par la réussite des autres.

La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de passer d’un fixed mindset à un growth mindset. Bien sûr, cela nécessite d’y consacrer du temps et de l’énergie.

Défaut de communication

« Si je ne te rappelle pas, c’est qu’on fait comme on a dit. »
Combien de fois avez-vous entendu ou prononcé cette phrase anodine ?

Le 6 mars 1987, le navire Herald of Free Enterprise quittait le port de Zeebrugge en Belgique, alors que ses portes avants, permettant le chargement des véhicules, étaient restées ouvertes. Cela permit à des milliers de tonnes d’eau de s’engouffrer sur le pont inférieur à la sortie au port, ce qui fit chavirer le mastodonte.

Bilan : 193 morts.

La fermeture des portes était de la responsabilité d’un assistant de pont, Mark S. Ce dernier était parti se reposer dans sa cabine pendant les opérations de chargement / déchargement. Et cette fois, contrairement à son habitude, Mark n’avait pas laissé ses chaussures à l’extérieur de sa cabine pendant sa sieste. Au moment de l’appareillage, ses collègues ont donc pensé qu’il était déjà à son poste et n’ont pas frappé à sa porte.

Sur le Herald of Free Enterprise, aucune indication en passerelle ne permettait de vérifier la position des portes. Et les us et coutumes voulaient qu’on se manifeste uniquement en cas de problème ; certainement pas pour confirmer qu’une action normale avait été réalisée.

« Si je ne t’appelle pas, c’est que tout va bien. »

Parmi les nombreux facteurs systémiques contributifs de cet accident, ce défaut de communication fût déterminant.