Un processus de décision inclusif doit-il viser le consensus ?

Quel que soit le collectif concerné, il existe de multiples manières de prendre une décision. Dans ce post, je ne m’intéresserai pas à l’outil de décision en lui-même (je vous renvoie au chapitre 7 de mon livre Mieux Réussir Ensemble), mais aux personnes chargées de résoudre le « problème » pour le groupe.

Au sein des structures pyramidales, les décisions viennent généralement d’ « en haut », pour de multiples raisons souvent fallacieuses. Ce fonctionnement a révélé de nombreuses failles, et je n’en citerai que deux :

  • notre motivation à implémenter des changements qui nous sont imposés est généralement faible ;
  • et les personnes au contact direct de l’activité connaissent mieux les réalités du terrain et sont plus au fait de leurs besoins que leurs supérieurs hiérarchiques.

Certaines structures ont opté pour un processus de décision inclusif, afin notamment de répondre aux deux points d’attention cités ci-dessus. Ce processus répond à une volonté de management participatif, ou de fonctionnement transverse.

Au sein de ces structures, tout le monde peut déclencher un processus de prise de décision, pour autant qu’il ou elle ait au préalable consulté quelques collègues et les personnes impactées par le changement envisagé.

Comme l’écrit Frédéric Laloux dans « Reinventing Organizations: A Guide to Creating Organizations Inspired by the Next Stage of Human Consciousness » :

« In principle, any person in the organization can make any decision. But before doing so, that person must seek advice from all affected parties and people with expertise on the matter. The person is under no obligation to integrate every piece of advice; the point is not to achieve a watered-down compromise that accommodates everybody’s wishes. But advice must be sought and taken into serious consideration. The bigger the decision, the wider the net must be cast—including, when necessary, the CEO or the board of directors. Usually, the decision maker is the person who noticed the issue or the opportunity or the person most affected by it. »

Une question survient régulièrement : la recherche d’un consensus étant généralement compliquée, ce genre de fonctionnement n’est-il pas chronophage ? Effectivement, cela serait le cas si il y avait une recherche de consensus. Heureusement, ce n’est pas l’objectif. 

« The basis for decision-making is not consensus. For a solution to be adopted, it is enough that nobody has a principled objection. A person cannot veto a decision because she feels another solution (for example, hers!) would have been preferable. The perfect solution that all would embrace wholeheartedly might not exist, and its pursuit could prove exhausting. As long as there is no principled objection, a solution will be adopted, with the understanding that it can be revisited at any time when new information is available. »

En effet, un processus de décision inclusif ne s’improvise pas ; il respecte un cadre précis afin d’éviter certains écueils, dont les discussions éternelles et les manœuvres politiques.

En voici les principes généraux :

  • les participants définissent clairement la situation en cause, et le temps qu’ils souhaitent allouer à la discussion.
  • un facilitateur est nommé en début de discussion ; il a pour rôles de poser des questions, de recentrer le débat en cas de digression, et de garder un œil sur la montre.
  • chacun est invité à s’exprimer à tour de rôle ; le nombre de tours de table est variable et aura été défini à l’avance.
  • c’est la majorité qui l’emporte, sauf si au moins une personne use de son droit de veto. Ce veto ne peux être motivé par l’ego ou la politique.
  • en cas de blocage, c’est le responsable hiérarchique (s’il existe) qui tranche. Par exemple, dans un avion, c’est le commandant de bord qui validera la décision finale. Dans certaines structures où les responsables hiérarchiques sont absents, ce sont d’autres collègues ou un coach qui sont invités à prendre connaissance des différents arguments et qui décideront.
  • toute solution est par essence provisoire, car elle pourra être remise en cause par le même processus.

« The meeting process elegantly ensures that every voice is heard, that the collective intelligence informs decision-making, and that no one person can derail the process and hold others hostage trying to impose her personal preferences.
If, despite their training and meeting techniques, teams get stuck, they can ask for external facilitation at any time—either from their regional coach or from the pool of facilitators of the institute they trained with. A team that is stuck can also turn to other teams for suggestions. »

Et s’il était besoin de le préciser : au sein des structures ou équipes qui ont réussi à implémenter ce type de processus de décision, l’implication et le bien-être des collaborateurs, la performance de l’organisation et la satisfaction des clients sont au rendez-vous.

Quand faire confiance à notre intuition ?

Il est des situations dans lesquelles la solution nous vient automatiquement. Notre sixième sens nous guide alors dans nos décisions. Mais le résultat n’est pas toujours à la hauteur de nos attentes. Qu’est-ce qui fait que notre intuition est plus ou moins performante ?

Afin de déterminer dans quelles situations nous pouvons nous fier à notre intuition, intéressons-nous aux travaux de deux psychologues, Gary Klein et Daniel Kahneman. Le premier nous dit que « Des experts en situation dynamique prennent des décisions intuitives efficaces », alors que le second nous dit : « Méfiez-vous du fonctionnement automatique de votre cerveau, notamment en matière de prise de décision, car il est entaché de nombreux biais ! »

Dès lors, qui croire ? Klein et son modèle du Recognition-Primed Decision (RPD) [1], ou Kahneman et sa théorie des Biais et Heuristique [2] ? Bonne nouvelle : ces deux spécialistes de la prise de décision ont accordé leurs violons dans une publication commune d’octobre 2009 intitulée « Les conditions d’une intuition experte ; Comment nous n’avons pas réussi à rester en désaccord. »

Ils listent les trois conditions nécessaires nous permettant de nous appuyer sur notre intuition :
– un environnement suffisamment régulier pour être prévisible ;
– la possibilité d’apprendre de ces régularités grâce à une pratique durable ;
– un feedback rapide et clair suite à l’implémentation de la décision.

Ils font donc référence à des situations rencontrées souvent, et qui nous ont fourni un retour clair et rapide quant à nos succès et nos échecs, de manière à nous permettre de nous adapter pour les occurrence futures.

Si ces conditions ne sont pas réunies, notre intuition pourra nous jouer des tours. Il sera donc préférable de nous tourner vers une méthode analytique de prise de décision si le temps le permet. En aviation, nous utilisons l’acronyme T-FORDEC :

Temps disponibleDe combien de temps disposons-nous ?
FaitsQuels sont les faits bruts, libres d’interprétation ?
OptionsQuelles sont les options qui s’offrent à nous ?
Risques/opportunités
Quels sont les avantages et les inconvénients de chacune des options ?
DécisionProposition de l’option à retenir par la personne la moins senior ; validation ou pas par l’équipe.
ExécutionAttribution des rôles et exécution de la décision.
ContrôleVérification continue du résultat attendu.

En cette période plus que particulière, rappelons-nous que notre expertise peut être mise à mal, et apprenons à nous méfier de nos intuitions.


[1] Gary A. Klein, A Recognition-Primed Decision (RPD) Model of Rapid Decision Making, Decision Making in Action, pp. 138-147, 1993.
[2] Amos Tversky, Paul Slovic & Daniel Kahneman, Judgment under uncertainty : Heuristics and biases, Cambridge University Press, 1982.

L’origine du CRM

À la suite d’une série de crashes « impensables » (Eastern Airlines 401 le 29 décembre 1972, Pan Am 1736 et KLM 4805 le 27 mars 1977, ou encore United Airlines 173 le 28 décembre 1978), l’industrie aéronautique civile a sollicité les experts de la NASA afin de déterminer les causes de ces nombreux accidents.

Les quelques rescapés du vol Pan Am 1736 après qu’il fût percuté par le KLM 4805 le 27 mars 1977

Lors d’une conférence organisée en 1979, la NASA fit connaître ses conclusions.

« Ces accidents présentent des points communs, chacun d’entre eux représentant un élément du problème de gestion des ressources. Voici une liste des dysfonctionnements les plus fréquemment observés dans ces accidents :

  • Focalisation sur des aléas techniques mineurs
  • Leadership inadéquat
  • Incapacité à déléguer et à confier des responsabilités
  • Incapacité à établir des priorités
  • Incapacité à surveiller les autres membres de l’équipage
  • Incapacité à exploiter les informations disponibles
  • Incapacité à communiquer les intentions et la stratégie »

Fort de ce constat, les compagnies aériennes développèrent des formations destinées aux équipages, afin d’apporter des solutions aux facteurs humains identifiés. United Airlines en tête, elles ont développé le Cockpit Ressource Management – CRM . Ces formations ont rencontré beaucoup de succès. Étant donné l’ampleur du problème, l’Administration Fédérale de l’Aviation américaine a rendu ces formations obligatoires pour tous les pilotes à compter de 1990. Aujourd’hui, tous nos actes de formations et d’évaluation incluent la composante CRM. Le Cockpit Ressource Management est même devenu Crew Ressource Management afin d’impliquer tout l’équipage, technique et commercial.

Les principales compétences désormais visées sont :

  • Gestion du stress
  • Leadership et travail en équipe
  • Communication
  • Gestion de la charge de travail
  • Conscience de la situation
  • Prise de décision
  • Gestion des automatismes
  • Résilience

Dans d’autres industries – nucléaire, pétrochimique, soins de santé, ferroviaire, etc. -, les problématiques de dysfonctionnement des équipes sont similaires à celles identifiées pour l’aviation civile. Les outils du CRM peuvent y être transposés, moyennant quelques adaptations aux spécificités respectives.