Faire de son stress un allié

Lorsque j’ai publié Mieux Réussir Ensemble en 2019, j’avais réalisé de nombreuses recherches sur le stress étant donné son impact sur la disponibilité du Système 2.

Dans cette section, j’ai listé une série de conséquences néfastes d’un stress chronique sur notre santé, et proposé quelques stratégies permettant d’y faire face : respiration et cohérence cardiaque, gestion des modes mentaux, acceptation, pleine conscience, optimalisme.

Et voilà qu’au détour d’une conférence TED, la psychologue américaine Kelly McGonigal nous propose une découverte importante : l’effet du stress sur notre santé est fonction de la façon dont nous le percevons. Si nous en faisons un ennemi, il aura des conséquences néfastes ; s’il est allié, il aura un impact positif ! Tel est l’influence de notre mental sur notre santé.

Une étude réalisée sur une cohorte de 30,000 personnes pendant 8 ans a montré que « Les personnes qui ont subi beaucoup de stress au cours de l’année précédente avaient un risque accru de mourir de 43 %. Mais ce n’était vrai que pour les personnes qui croyaient également que le stress est nocif pour la santé. Les personnes qui subissaient beaucoup de stress mais ne considéraient pas le stress comme nocif n’étaient pas plus susceptibles de mourir. En fait, ils avaient le plus faible risque de mourir parmi tous les participants à l’étude, y compris les personnes relativement peu stressées. »

« Les personnes qui subissaient beaucoup de stress mais ne considéraient pas le stress comme nocif n’étaient pas plus susceptibles de mourir. »

Dans une étude réalisée à l’Université de Harvard, les chercheurs ont montré que le fait de considérer son stress comme un allié a un impact physiologique : si notre rythme cardiaque s’accélère comme dans le cas d’un stress anxiogène, nos vaisseaux sanguins ne se contractent pas contrairement au cas d’un stress anxiogène. Or cette contraction résulte en de possibles complications cardiaques. Le fait de considérer son stress comme un allié a un impact positif sur notre santé.

Kelly mentionne aussi le fait que lorsque nous vivons un épisode de stress, notre corps produit certes de l’adrénaline mais également de l’ocytocine, l’hormone de la générosité, de l’amitié, de l’empathie et de l’amour : « Et lorsque l’ocytocine est libérée lors d’un épisode de stress, cela vous motive à demander de l’aide. Votre stress biologique vous pousse à partager que vous ressentez au lieu de le refouler. Et votre stress veut également faire en sorte que vous remarquiez quand quelqu’un d’autre se débat, afin que vous puissiez vous soutenir mutuellement. Lorsque la vie est difficile, votre réaction au stress veut que vous soyez entouré de personnes qui se soucient de vous. »

« Lorsque la vie est difficile, votre réaction au stress veut que vous soyez entouré de personnes qui se soucient de vous. »

Par ailleurs, l’ocytocine est un anti-inflammatoire puissant dont un rôle est de protéger notre système cardiovasculaire des effets du stress. Et plus nous entretenons des relations sociales saines et constructives, plus nous en sécrétons. Et Kelly cite une autre étude menée sur 1000 adultes âgés de 34 à 93 ans et traversant une situation difficile (divorce, difficultés financières, etc.). Le risque de décès au sein de cette population était supérieur de 30%, sauf pour les personnes qui prenaient soin d’autres personnes. « Prendre soin d’autrui » est bénéfique à notre santé.

Et Kelly termine sur cette autre phrase optimiste : « Une chose que nous savons avec certitude, c’est qu’il est préférable pour votre santé de rechercher le sens que d’essayer d’éviter l’inconfort. »

« Une chose que nous savons avec certitude, c’est qu’il est préférable pour votre santé de rechercher le sens plutôt que d’essayer d’éviter l’inconfort. »

Savoir reconnaître quand il est temps de changer de paradigme : ce que l’aéronautique peut nous enseigner.

L’impératif dans mon métier de pilote de ligne consiste à fournir le plus haut niveau de sécurité à mes passagers. Cet impératif prime sur tous les autres objectifs de performance. Mais cela n’a pas toujours été le cas. L’aviation civile est passée par une série changements de paradigmes au fil des dernières décennies.

Les années 50’s, c’était l’époque des héros. La plupart des pilotes étaient des « As » de la seconde guerre mondiale, recrutés par les compagnies aériennes pour transporter leurs passagers. On pouvait par exemple lire dans un magazine de l’époque : « Sur AIR FRANCE, vous êtes toujours conduit par un équipage d’élite. » Le commandant de bord était le seul maître à bord après Dieu. Le reste de l’équipage éprouvait les plus grandes difficultés à lui faire entendre raison lorsqu’il se trompait. La taille de son ego se mesurait à celle de l’avion qu’il pilotait.

Dans la continuité de l’époque des héros, les années 70’s ont été marquées par l’idée que l’erreur était inacceptable. « Les bons professionnels ne font pas d’erreur. » Résultat : lorsque des erreurs étaient commises, elles étaient cachées. Les erreurs anodines n’avaient pas de conséquence visible, mais d’autres étaient mortelles. La série noire de crashes pendant cette décennie fit des milliers de morts.

L’accident le plus meurtrier de l’histoire de l’aviation civile reste celui de Tenerife survenu le 27 mars 1977. Ce jour-là, le vol KLM 4805 a décollé sans autorisation et a percuté le vol Pan Am 1736 qui roulait sur la piste. Plusieurs facteurs au contribué au drame : brouillard, pression temporelle, difficultés de communication, mais surtout l’incapacité du copilote et du mécanicien navigant du vol KLM de faire entendre à leur commandant de bord leur doute quant à l’autorisation de décollage. Bilan : 583 morts.

Dorothy Kelly – The Tenerife Air Disaster.
Reconstitution de l’accident de Tenerife

À la suite de ces nombreux accidents, une enquête fut menée par la NASA. Ses conclusions, rendues à San Francisco en 1979, furent sans appel. En grande majorité, ces crashes étaient dus à des dysfonctionnements au sein des équipages : leadership inadéquat ; incapacité à déléguer et à confier des responsabilités; incapacité à établir des priorités ; incapacité à exploiter les informations disponibles.

Dans les années 80’s, cela donna naissance au CRM, le Crew Ressource Management (gestion des ressource de l’équipage). Depuis lors, tous les pilotes et personnels de cabine suivent une formation continue visant à développer des compétences leur permettant de Mieux Réussir Ensemble. Cette formation est réglementaire et tend depuis quelques années à s’étendre à d’autres métiers des compagnies aériennes.

Modèle de compétences pilotes d’AIRFRANCE, version 2021

En parallèle, l’erreur a été reconnue comme faisant partie intégrante du fonctionnement humain grâce aux travaux de psychologues comme James Reason et Jans Rasmussen. Cela contribua à dégonfler certains egos. « Erreur et performance sont les deux faces d’une même pièce. » Les erreurs devenant avouables, cela permit notamment la mise en place d’un système de partage d’expérience déculpabilisant, l’objectif étant d’apprendre afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs, pas de chercher des coupables.

« Erreur et performance sont les deux faces d’une même pièce. »

Les années 90’s furent celles des Facteurs Organisationnels et Humains. Le principe en est simple. Lorsqu’un professionnel commet une erreur, c’est souvent parce qu’une condition latente, une condition propice à ce que cette erreur soit commise, est présente dans le système. Les FOH s’intéressent donc à la responsabilité des organisations dans les erreurs des opérateurs de première ligne. Objectifs contradictoires ; agendas cachés ; procédures inadaptées ; matériel défaillant ; manque de ressources ; charge de travail excessive ; etc.

Enfin, depuis une dizaine d’années, nous sommes à l’ère de la résilience. En intégrant les différents paradigmes développés depuis les années 80’s, notamment le CRM et les FOH, les compagnies aériennes améliorent continuellement leur capacité à faire face à la complexité croissante à laquelle elles ne peuvent échapper. Les quatre piliers de cette résilience sont l’anticipation (notamment des risques er des opportunités), la surveillance de la situation (incluant la prise en compte des informations pertinentes), la capacité de réponse aux événements et l’apprentissage continu (adaptation).

Je suis à la fois fier et chanceux de faire partie de cette industrie qui a réussi à se remettre continuellement en question au service de ces clients.

Aujourd’hui, grâce à tout le chemin parcouru, aux changements de paradigmes successifs et aux évolutions technologiques, vous devriez prendre l’avion tous les jours pendant 6033 années avant d’être victime d’un accident dans lequel au moins un passager serait tué (IATA, 2017).

L’origine du CRM

À la suite d’une série de crashes « impensables » (Eastern Airlines 401 le 29 décembre 1972, Pan Am 1736 et KLM 4805 le 27 mars 1977, ou encore United Airlines 173 le 28 décembre 1978), l’industrie aéronautique civile a sollicité les experts de la NASA afin de déterminer les causes de ces nombreux accidents.

Les quelques rescapés du vol Pan Am 1736 après qu’il fût percuté par le KLM 4805 le 27 mars 1977

Lors d’une conférence organisée en 1979, la NASA fit connaître ses conclusions.

« Ces accidents présentent des points communs, chacun d’entre eux représentant un élément du problème de gestion des ressources. Voici une liste des dysfonctionnements les plus fréquemment observés dans ces accidents :

  • Focalisation sur des aléas techniques mineurs
  • Leadership inadéquat
  • Incapacité à déléguer et à confier des responsabilités
  • Incapacité à établir des priorités
  • Incapacité à surveiller les autres membres de l’équipage
  • Incapacité à exploiter les informations disponibles
  • Incapacité à communiquer les intentions et la stratégie »

Fort de ce constat, les compagnies aériennes développèrent des formations destinées aux équipages, afin d’apporter des solutions aux facteurs humains identifiés. United Airlines en tête, elles ont développé le Cockpit Ressource Management – CRM . Ces formations ont rencontré beaucoup de succès. Étant donné l’ampleur du problème, l’Administration Fédérale de l’Aviation américaine a rendu ces formations obligatoires pour tous les pilotes à compter de 1990. Aujourd’hui, tous nos actes de formations et d’évaluation incluent la composante CRM. Le Cockpit Ressource Management est même devenu Crew Ressource Management afin d’impliquer tout l’équipage, technique et commercial.

Les principales compétences désormais visées sont :

  • Gestion du stress
  • Leadership et travail en équipe
  • Communication
  • Gestion de la charge de travail
  • Conscience de la situation
  • Prise de décision
  • Gestion des automatismes
  • Résilience

Dans d’autres industries – nucléaire, pétrochimique, soins de santé, ferroviaire, etc. -, les problématiques de dysfonctionnement des équipes sont similaires à celles identifiées pour l’aviation civile. Les outils du CRM peuvent y être transposés, moyennant quelques adaptations aux spécificités respectives.

4ème de couverture

Dans les années 70, les crashes d’avions se succèdent tellement que les compagnies font face à une crise majeure. Une étude de la NASA révèle alors l’incapacité des pilotes à collaborer en équipe. Face à ce constat, le Crew Resource Management (CRM) est développé pour apprendre au personnel navigant à mieux fonctionner ensemble. Et les résultats suivent tout de suite, rendant ainsi les formations au CRM obligatoires.

Dans de nombreux secteurs d’activité autres que l’aviation civile (médical, énergie, etc.), les pertes liées à une communication inefficace ou à un leadership inapproprié se chiffrent aussi en vies humaines. Toutefois, quelle que soit l’entreprise et même s’ils sont moins flagrants, de tels dysfonctionnements demeurent tout aussi pernicieux : perte de la performance, dégradation du bien-être, burnout… ; et in fine très coûteux.

De la performance individuelle (gestion du stress, de la fatigue, de l’attention…) à la performance collective (communication, travail en équipe, prise de décision…), cet ouvrage fourmillant d’exemples vous fait découvrir les bonnes pratiques de CRM des pilotes de lignes en les étendant à toutes les professions, donc la vôtre. Vous et votre groupe y gagnerez en capacité à rebondir dans l’adversité et à continuer d’avancer.