Le restaurant le mieux coté de Londres n’existe pas !

L’histoire se passe en 2017. Oobah Butler, chroniqueur alimentation et lifestyle, est sollicité par plusieurs restaurants lui proposant de laisser un commentaire favorable sur leur page TripAdvisor sans même les avoir visités, en échange d’une transaction financière.

Une question lui vient alors : s’il créait un restaurant fictif, à quelle position serait-il capable de le pousser dans le classement du site d’évaluation ?

Butler invente alors le Shed at Dulwich, restaurant sur réservation uniquement pour lequel il crée un site internet sommaire.

The Shed at Dulwich

En simulant une disponibilité à plusieurs semaines expliquée par un soi-disant succès important, Butler crée une attrait important.

En quatre mois seulement, le classement du restaurant fictif passe de la 18149e place à la 156e place dans TripAdvisor Londres. Puis la farce a fait boule de neige de manière inattendue. Des fournisseurs potentiels ont commencé à envoyer des échantillons gratuits. Des travailleurs potentiels ont pris contact afin d’offrir leurs services. Un conseil municipal a proposé au restaurant de déménager dans un quartier en cours de rénovation. Une société de production a offert ses services afin de présenter le restaurant sur des vidéos aériennes.

Les photos des plats affichés sur le site n’étaient pas particulièrement originales…

… si ce n’est concernant les ingrédient mis en scène.

Le 1er novembre 2017, le Shed at Dulwich, le restaurant qui n’existait pas, a atteint la première place du classement des restaurants londoniens dans TripAdvisor.

Et vous, quelles sont vos sources d’influence sur internet ? Quel crédit accordez-vous aux avis des internautes ? Quelle confiance abandonnez-vous aux plateformes collaboratives de type Wiki ?

Source : Andrew Bender sur Forbes.com

Êtes-vous vraiment certain de vos certitudes… ?

Avis divergents remplis de certitudes, désaccords, vérités indéniables, croyances, … La situation actuelle est un magnifique laboratoire du fonctionnement humain. Elle met en lumière les nombreux biais cognitifs qui influencent nos jugements et nos décisions.

Un biais cognitif est défini comme une distorsion dans le traitement cognitif d’une information. C’est en quelque sorte un raccourci pris par notre cerveau à notre insu, provoqué par le Système 1, hors de la conscience du Système 2. Sa fonction première est de nous simplifier la perception de notre environnement. Cela relève d’un paradoxe intéressant. Sans les biais cognitifs, nous serions submergés par la quantité d’information à prendre en compte dans la plupart des situations ; et avec eux, nous sommes victimes de raccourcis cognitifs pas toujours heureux.
Les biais cognitifs recensés dans la littérature scientifique sont au nombre de 189, comme l’illustre élégamment le codex des biais cognitifs.

Si vous pensez que vous êtes plus alerte que vos semblables quant aux biais cognitifs, et donc moins susceptible d’y succomber, vous êtes probablement sous l’effet du biais de supériorité illusoire, qui conduit chacun de nous à se sentir supérieur aux autres dans un ou plusieurs domaines spécifiques.

Quelle que soit la situation, et l’épidémie Covid-19 n’échappe pas à la règle, les biais cognitifs influencent notre perception des éléments et la manière dont nous les agençons pour construire notre « réalité ».

Le biais d’obéissance à l’autorité nous pousse à croire et à respecter les injonctions données par une personne dont nous reconnaissons la compétence, quelqu’un que nous considérons être « expert », comme un scientifique, ou une femme ou un homme politique.
L’industrie du tabac a exploité ce biais dans les années 1940-50, en ayant recours à des docteurs en médecine afin de promouvoir la cigarette.

Face à la montagne d’informations contradictoires que nous offre internet, c’est également le biais d’obéissance à l’autorité qui conduit certaines personnes à consulter les sites internet de factchecking afin de distinguer une info d’une intox. Et cela sans même se poser la question de qui gère les « vérités » divulguées sur ces sites. Parce que s’ils s’appellent « factcheckers », ils doivent savoir.

Le biais de disponibilité rend plus prégnants les éléments auxquels nous avons été fréquemment et/ou récemment exposés, par exemple une « réalité » répétée chaque jour par les médias. Dans le même ordre d’idée, le fait de compter dans son entourage une personne « à qui c’est arrivé » rend la situation encore plus « réelle ».

Le biais de conformité nous pousse à nous conformer à l’avis général au sein d’un groupe. Il a été démontré par le psychologue Solomon Asch en 1951. Par exemple, si je ne porte pas de masque dans un endroit où celui-ci est recommandé mais pas obligatoire, et que toutes les autres personnes présentes en portent un, je serai très tenté d’en porter un également. En revanche, si je repère une autre personne qui n’en porte pas non plus, je serai conforté dans mon choix initial.

Le biais de confirmation nous conduit à rechercher tous éléments nous permettant de renforcer une certitude, aussi ténus soient-ils, tout en négligeant systématiquement les informations contradictoires. Il nous empêche de nous poser la question « Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? » Dans le même ordre d’idée, le réflexe de Semmelweis désigne notre tendance à rejeter les nouvelles données qui remettent en cause les paradigmes établis. Par exemple, si je suis persuadé qu’un virus est extrêmement dangereux, ou au contraire banal et sans danger, j’aurai tendance à rechercher toutes les informations validant ma croyance initiale.

L’oubli de fréquence de base fait de nous de piètres probabilistes (voir cet article pour un exemple). Sans prendre certaines précautions, les chiffres auxquels nous sommes quotidiennement exposés peuvent dire tout et son contraire.

Le biais d’aversion à la perte et le biais du risque zéro vont influencer nos décisions et nous pousseront à éviter le risque d’une perte (d’argent, de temps, d’un proche, etc.), ou le risque tout court. Cette tendance s’est renforcée depuis que le principe de précaution a été généralisé « pour notre bien ». Or le risque zéro n’existe pas, et chaque décision importante mériterait une sérieuse analyse bénéfice/risque préalable.


Ces deux deniers biais sont guidés par le très puissant sentiment de peur que nous pouvons éprouver dans certaines situations. La peur est la motivation la plus puissante pour l’être humain. Elle peut provoquer les réactions les plus irrationnelles, et nous amener à nous asseoir sur les valeurs qui habituellement régissent nous comportements et nos choix. La peur provoque du stress, et les hormones du stress inhibent notre Système 2, ce qui nous rend incapables d’analyser la situation et d’y apporter une réponse plus appropriée. Nos réactions sont alors guidées par un Système 1 dégradé, motivé par sa seule survie.

Depuis la nuit des temps, la puissance de la peur est bien comprise et maîtrisée par les services de communication, qu’ils soient liés à un parti politique, une religion ou un groupement idéologique.

Comment pouvons-nous nous affranchir (autant que possible) de ces biais cognitifs, de manière à démontrer des comportements plus réfléchis ? En renforçant notre Système 2, seul à pouvoir cadrer son homologue, le Système 1. De nombreuses études suggèrent que la pratique de la méditation, de la pleine conscience, et de toutes les pratiques associées, renforcent notre faisceau neural fronto-strial [1] et facilitent l’accès à notre Système 2.


[1] Sébastien Bohler, Le bug humain : Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher, Robert Laffont, 2019.