Le stress moderne de l’Homo Sapiens

Lorsqu’un chevreuil qui broute paisiblement dans une clairière entend un bruit suspect, son système nerveux sympathique s’active et il s’enfuit dans la direction opposée au bruit. Au bout d’un certain temps, son système nerveux parasympathique prend le relais. Le chevreuil s’arrête pour brouter à nouveau. Il oublie complètement l’épisode de stress qu’il vient de vivre.

Pour nous humains, la réalité est toute différente. D’une part, la capacité d’abstraction que permet notre cortex préfrontal nous amène parfois à nous imaginer le pire, à nous faire un film alors que la réalité est tout autre. Certains expliquent ce phénomène par le fait que cela nous donne l’illusion que nous réussirons à gérer la situation et à maîtriser nos émotions si le pire venait effectivement à se produire[1]. Mais toutes les personnes qui ont vécu un épisode dramatique au cours de leur vie disent que rien n’aurait pu les y préparer, même de l’avoir envisagé et répété avant.

D’autre part, dans notre monde actuel, tout doit aller vite ;  il faut faire toujours plus avec toujours moins. Nous vivons dans un monde de manque permanent. Pour paraphraser l’activiste Lynne Twist : « Nous nous réveillons le matin avec l’idée que nous n’avons pas assez dormi, et nous nous endormons le soir avec l’idée que nous n’avons pas assez accompli pendant la journée. Une grande partie de ce que nous vivons entre les deux est dictée par les sentiments de manque et de pénurie. »[2]

À moins de vivre dans une zone de conflit, d’être confrontés à une catastrophe naturelle ou poursuivis par un animal enragé, les épisodes de stress que nous subissons sont majoritairement d’ordre psychologique. De nos jours, notre intégrité physique est rarement directement menacée, particulièrement sur notre lieu de travail. Malgré cela, il nous arrive de ressentir les symptômes de l’activation du système nerveux sympathique, parce que les phénomènes physiologiques en cause restent les mêmes.

Les émotions à l’origine du stress sont variées. Il peut s’agir de peur, de colère, de frustration, de découragement, de contrariété, d‘impatience ou même d’excitation. Cette liste n’est pas exhaustive. Nous débutons tous notre journée avec un niveau de stress variable, induit par les choses de la vie.

Nous possédons également un seuil personnel de tolérance au stress, c’est-à-dire un niveau de stress que nous sommes capables d’endurer. Ce seuil de tolérance varie selon les individus. L’espace disponible entre notre niveau de stress et notre seuil de tolérance constitue la marge qui va nous permettre de faire face – de ne pas perdre les pédales – lorsque nous rencontrons une nouvelle situation inconfortable. Cette marge est capitale parce que le stress est cumulatif, et une succession d’éléments stressants finira par dépasser notre seuil de tolérance.

Si nous avons la chance de vivre un moment de notre vie exempt de toute complication, notre marge de résistance sera sans doute importante. Il faudra dans ce cas un ou plusieurs événements significatifs pour déclencher notre système nerveux sympathique.

Par contre, si nous devons gérer les émotions liées à un enfant ou un parent malade, une situation financière critique, une mauvaise ambiance de travail ou la crainte d’un licenciement, nous aurons une faible marge de tolérance au stress ; le moindre événement même mineur sera susceptible de nous faire péter les plomb. La goutte d’eau fera déborder le vase.

Le stress est cumulatif !

En ce qui concerne les comportements spécifiques sur le lieu de travail dont certains sont victimes, les stresseurs les plus courants comprennent[3] :

  • Etre l’objet de condescendance et de manque de respect
  • Etre traité injustement
  • Ne pas être reconnu et apprécié
  • Ne pas se sentir écouté ou entendu
  • Se voir imposer des objectifs irréalistes.

Dans ces situations, nous nous sentons en danger. Si nous ne parvenons pas à détecter et à bloquer la tension qui monte en nous, notre réponse correspondra à celle d’un individu se sentant menacé. Soit nous ferons preuve d’agressivité, soit nous fuirons, soit nous nous enfermerons dans l’inhibition. A l’extrême, nous serons victimes d’un burnout.

Certaines situations peuvent rapidement et inutilement dégénérer, car nos capacités de réflexions sont physiologiquement inhibées par les hormones de stress lorsque nous sommes dans cet état. Une parole ou une décision destructrice et irrationnelle que nous regretterons plus tard n’est pas exclue avec toutes les conséquences dramatiques imaginables.

Depuis la seconde guerre mondiale, les impacts du stress sur la performance sont étudiés dans le domaine militaire. Plusieurs études récentes y font état d’une performance cognitive altérée sous stress :

  • restriction du champ de perception,
  • diminution des capacités de mémorisation,
  • défaillance des mécanismes de l’attention,
  • prise de décision incertaine,
  • dégradation des capacités de résolution de problème,
  • rigidité de fonctionnement et résistance au changement[4].

Tous ces dysfonctionnements sont liés au fait que le centre exécutif de notre cerveau, le seul capable d’apporter une réponse nuancée à la situation vécue, est difficilement accessible lorsque nous sommes aux prises avec des émotions négatives. Son fonctionnement est affecté par les neurotransmetteurs qui accompagnent chaque épisode de stress. Nous devons donc trouver un moyen d’endiguer ce processus naturel afin de lui passer le relais.


[1] Brené Brown, The Power of Vulnerability : Teachings of Authenticity, Connection and Courage, Sounds True, 2013.

[2] Lynne Twist, The Soul of Money, W. W. Norton & Company, 2003.

[3] Tony Shwartz, The way we’re working isn’t working : The four forgotten needs that energize great performance, Simon & Shuster, 2010.

[4] J E Driskell & E Salas, Stress and human performance, Routledge, 2016.

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