Un processus de décision inclusif doit-il viser le consensus ?

Quel que soit le collectif concerné, il existe de multiples manières de prendre une décision. Dans ce post, je ne m’intéresserai pas à l’outil de décision en lui-même (je vous renvoie au chapitre 7 de mon livre Mieux Réussir Ensemble), mais aux personnes chargées de résoudre le « problème » pour le groupe.

Au sein des structures pyramidales, les décisions viennent généralement d’ « en haut », pour de multiples raisons souvent fallacieuses. Ce fonctionnement a révélé de nombreuses failles, et je n’en citerai que deux :

  • notre motivation à implémenter des changements qui nous sont imposés est généralement faible ;
  • et les personnes au contact direct de l’activité connaissent mieux les réalités du terrain et sont plus au fait de leurs besoins que leurs supérieurs hiérarchiques.

Certaines structures ont opté pour un processus de décision inclusif, afin notamment de répondre aux deux points d’attention cités ci-dessus. Ce processus répond à une volonté de management participatif, ou de fonctionnement transverse.

Au sein de ces structures, tout le monde peut déclencher un processus de prise de décision, pour autant qu’il ou elle ait au préalable consulté quelques collègues et les personnes impactées par le changement envisagé.

Comme l’écrit Frédéric Laloux dans « Reinventing Organizations: A Guide to Creating Organizations Inspired by the Next Stage of Human Consciousness » :

« In principle, any person in the organization can make any decision. But before doing so, that person must seek advice from all affected parties and people with expertise on the matter. The person is under no obligation to integrate every piece of advice; the point is not to achieve a watered-down compromise that accommodates everybody’s wishes. But advice must be sought and taken into serious consideration. The bigger the decision, the wider the net must be cast—including, when necessary, the CEO or the board of directors. Usually, the decision maker is the person who noticed the issue or the opportunity or the person most affected by it. »

Une question survient régulièrement : la recherche d’un consensus étant généralement compliquée, ce genre de fonctionnement n’est-il pas chronophage ? Effectivement, cela serait le cas si il y avait une recherche de consensus. Heureusement, ce n’est pas l’objectif. 

« The basis for decision-making is not consensus. For a solution to be adopted, it is enough that nobody has a principled objection. A person cannot veto a decision because she feels another solution (for example, hers!) would have been preferable. The perfect solution that all would embrace wholeheartedly might not exist, and its pursuit could prove exhausting. As long as there is no principled objection, a solution will be adopted, with the understanding that it can be revisited at any time when new information is available. »

En effet, un processus de décision inclusif ne s’improvise pas ; il respecte un cadre précis afin d’éviter certains écueils, dont les discussions éternelles et les manœuvres politiques.

En voici les principes généraux :

  • les participants définissent clairement la situation en cause, et le temps qu’ils souhaitent allouer à la discussion.
  • un facilitateur est nommé en début de discussion ; il a pour rôles de poser des questions, de recentrer le débat en cas de digression, et de garder un œil sur la montre.
  • chacun est invité à s’exprimer à tour de rôle ; le nombre de tours de table est variable et aura été défini à l’avance.
  • c’est la majorité qui l’emporte, sauf si au moins une personne use de son droit de veto. Ce veto ne peux être motivé par l’ego ou la politique.
  • en cas de blocage, c’est le responsable hiérarchique (s’il existe) qui tranche. Par exemple, dans un avion, c’est le commandant de bord qui validera la décision finale. Dans certaines structures où les responsables hiérarchiques sont absents, ce sont d’autres collègues ou un coach qui sont invités à prendre connaissance des différents arguments et qui décideront.
  • toute solution est par essence provisoire, car elle pourra être remise en cause par le même processus.

« The meeting process elegantly ensures that every voice is heard, that the collective intelligence informs decision-making, and that no one person can derail the process and hold others hostage trying to impose her personal preferences.
If, despite their training and meeting techniques, teams get stuck, they can ask for external facilitation at any time—either from their regional coach or from the pool of facilitators of the institute they trained with. A team that is stuck can also turn to other teams for suggestions. »

Et s’il était besoin de le préciser : au sein des structures ou équipes qui ont réussi à implémenter ce type de processus de décision, l’implication et le bien-être des collaborateurs, la performance de l’organisation et la satisfaction des clients sont au rendez-vous.

Les équipes les plus performantes commettent-elles moins d’erreurs ?

Il y a quelques années, Amy Edmondson, professeur de leadership et management (oui, les 2 !) à l’université de Harvard se pose cette question : « Est-ce que les équipes reconnues pour leurs process efficaces, pour la qualité des relations entre collaborateurs et pour leur leadership commettent moins d’erreurs dans l’administration de médicaments que les autres équipes ? »

Cette hypothèse semblait plus que plausible. Il restait à la vérifier.

Amy Edmondson se rappelle avoir été initialement très surprise par le résultat de ses recherches : le taux d’erreurs des équipes les plus performantes était très supérieur au taux d’erreurs des équipes moins performantes.

Une explication émergea rapidement. Dans cette étude, les seules erreurs connues étaient les erreurs qui avaient été rapportées par les équipes [1]. Cela lui permit de reformuler son postulat initial :

« Les équipes reconnues pour leurs process efficaces, pour la qualité des relations entre collaborateurs et pour leur leadership rapportent davantage les erreurs médicamenteuses qu’elles commettent. Il en résulte une évolution permanente des pratiques visant à améliorer les process, et cela a un impact positif sur la performance et sur la sécurité des soins. »

Une question suit naturellement : « Quels sont les éléments qui encouragent ces équipes à partager davantage leurs erreurs que les autres ? »

Un élément essentiel apparaît de manière évidente : la qualité du leadership. Dans ces équipes, les responsables sont des leaders inclusifs [2] :

  • Ils sont accessibles ;
  • Ils reconnaissent leurs limites et leurs faiblesses ;
  • Ils invitent ouvertement leurs collaborateurs à formuler propositions et remarques.

Il résulte de ces qualités une plus grande sécurité psychologique [3] au sein de ces équipes. Ces leaders réduisent le coût psychologique de déclarer un incident et augmentent le coût psychologique du silence.

Par opposition, voici quelques verbatims de soignants exerçant au sein d’équipes moins performantes :

« Elle vous traite comme un coupable lorsque vous commettez une erreur… J’ai été appelé dans son bureau et elle m’a parlé comme si j’étais un enfant de 2 ans. »

« Il vous administre le « traitement du silence ». »

« Vous passez devant un tribunal… »

« Les gens sont blâmés pour leurs erreurs. Vous ne voulez pas être celui qui l’a commise. »

Et chez vous ? Dans votre équipe, service ou organisation, quel est le traitement réservé aux erreurs ? Sont-elles considérées comme des opportunités d’apprendre, ou est-ce que la première erreur est de commettre une erreur ? Dans ce cas, quel est l’impact de ce fonctionnement sur votre bien-être, sur votre performance, et sur la satisfaction ou la sécurité des personnes qui s’en remettent à vous ?

Pour davantage de bonnes pratiques sur le fonctionnement des équipes : « Mieux Réussir Ensemble » Chapitre 4 – Travail en équipe.


[1] Edmondson, A. (1996). Learning from mistakes is easier said than done: Group and organizational influences on the detection and correction of human error. The Journal of Applied Behavioral Science, 32 (1): 5-28
[2] Nembhard, I. M. and Edmondson A.C. (2006). Making it safe: The effects of leader inclusiveness and professional status on psychological safety and improvement efforts in health care teams. Journal of Organizational Behavior, 27 (7): 941-966
[3] Edmondson, A. (2003). Managing the risk of learning: Psychological safety in work teams. In International Handbook of Organizational Teamwork and Cooperative Working, M. West (Ed.). London: Blackwell, pp. 255-276

Human Factors and Healthcare

« What evidence is there, and how robust is it, that Human Factors has a positive impact on patient safety ? »

All case studies from the healthcare environment illustrate positive impacts on patient safety through the wider adoption and integration of HumanFactors.

« Quelles preuves existe-t-il, et à quel point sont-elles solides, quant au fait que les Facteurs Humains ont un impact positif sur la sécurité des patients ? »

Toutes les études de cas issues du secteur des soins illustrent un impact positif sur la sécurité des patients grâce à l’adoption et à l’intégration plus larges des Facteurs Humains.

Votre communication est-elle efficace ?

Il y a quelques années, lors d’une première formation en coaching, PNL et hypnose, j’ai appris le principe de base de la communication « d’influence » : les mots créent des pensées, les pensées créent des images, les images créent des émotions, et les émotions créent des réactions.

Mots > pensées > images > émotions > réaction

Le choix des mots justes revêt donc une importance capitale dans l’efficacité de notre communication. Richard Bandler disait d’ailleurs : « The meaning of your communication is the result you get. » Si nous n’obtenons pas le résultat escompté de la part de notre interlocuteur, nous en sommes en grande partie responsables. Peut-être n’avons-nous pas réussi à susciter la bonne image, ce qui n’a pas provoqué la bonne émotion, et la réaction attendue – consciente ou inconsciente – ne s’est pas matérialisée.

Et vous, quelle est l’efficacité de votre communication ?

Quelle image suggérez-vous lorsque vous dites « Ne vous inquiétez pas » alors que votre message est « Soyez rassuré » ? Lorsque vous dites « Pas de problème » au lieu de « Avec plaisir ». Lorsque vous demandez « Vous n’êtes pas trop stressé ? » au lieu de « Tout va bien ? ». Lorsque vous dites « N’oublie pas de … » et non « Souviens-toi de … » Ou lorsque vous répondez « Non, mais » alors que « Oui, et … » serait plus approprié. Et la liste est bien plus longue encore.

Pourquoi ne pas simplement communiquer ce que vous voulez ? (plutôt que ce que vous ne voulez pas…)

  • Je vous propose, pendant quelques minutes chaque jour, de prendre du recul et d’écouter les gens parler autour de vous. Prenez conscience de ces erreurs de communication. Quelles sont leurs conséquences potentielles ?
  • Et puis essayez de repérer les mots que vous utilisez lorsque c’est vous qui parlez. Cela demande une certaine dissociation d’avec vous-même. C’est un exercice initialement difficile, mais comme pour tout, sa pratique régulière facilite sa réalisation.
  • Ensuite, une fois que vous y arrivez avec davantage d’aisance, développez la capacité de reformuler vos idées de manière plus efficace avant les énoncer. Par exemple, apprenez à éviter les négation chaque fois que cela est possible. Votre communication gagnera en efficacité.

Qizz : quel est votre style préféré de leadership ?

Notre style de leadership a un impact sur le climat organisationnel, que ce soit au sein d’une équipe, d’un service ou d’une organisation. Ce climat est défini par 6 composantes [1] :

  • Clarté : les équipes ont une compréhension claire de la direction que prend l’organisation, et de leur rôle
  • Standards : il y a un focus continu sur les pistes d’amélioration dans une recherche d’excellence
  • Flexibilité : il y a un focus continu sur les pistes d’amélioration dans une recherche d’excellence
  • Responsabilité : il y a un focus continu sur les pistes d’amélioration dans une recherche d’excellence
  • Récompenses : il y a un focus continu sur les pistes d’amélioration dans une recherche d’excellence
  • Engagement : les collaborateurs témoignent de confiance et de fierté envers l’organisation

À son tour, le climat organisationnel a un impact sur la performance de l’organisation, que ce soit la sécurité dans les entreprises dites « à risque », mais également la performance économique et le bien-être des collaborateurs.

Source : HBR OnePoint, Leadership That Gets Results

Afin de découvrir votre style favori de leadership, répondez le plus honnêtement possible aux 6 questions ci-dessous.

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Laquelle des phrases suivantes auriez-vous tendance à dire naturellement ?

Que faites-vous si vous sentez une baisse de productivité dans votre équipe ?

Lorsque vous déléguez des tâches aux membres de votre équipe ou à des partenaires, vous avez tendance à adopter l’un des comportements suivants :

Ce qu’on admire le plus chez vous est l’une des qualités suivantes :

Parfois, vous vous étonnez…

Lorsque survient une situation difficile au travail, vous…

Quel est votre style de leadership ?
Vous êtes un leader directif
Vous avez un style de leadership très autoritaire qui laisse peu de places aux initiatives des autres. Vous aimez imposer des actions concrètes, expliquer les tenants et les aboutissants de chacune de vos décisions et diriger sans trop penser à long terme. Autrement dit, vous aimez avoir le contrôle sur tout ce qui est fait. Vous exercez une pression sur les autres pour qu’ils suivent vos directives ou qu’ils fassent avancer les projets, lorsqu’il y a un manque ou un ralentissement dans l’exécution des tâches à accomplir.
Vous êtes un leader affirmé
Vous avez un style de leadership très exigeant, mais un peu moins que le leader directif. Vous visez l’excellence et vous en demandez autant des autres. Vous manquez de patience envers ceux qui ne suivent pas votre rythme, ou encore, qui sont moins performants. Autrement dit, vous voulez toujours plus et mieux.
Vous êtes un leader visionnaire
Vous avez un style de leadership très mobilisateur. Vous avez une vue d’ensemble d’une situation très claire, c’est-à-dire que vous excellez à définir le sens de chaque projet que vous entamez. Vous avez une idée forte et vous faites confiance aux membres clés de votre équipe pour trouver comment la mettre en œuvre avec des solutions concrètes. Vous avez une capacité à mobiliser votre équipe pour donner du sens aux changements dans l’entreprise. Votre charisme et votre empathie font en sorte que vous réussissez à montrer aux autres la voie à suivre grâce à une vision des choses claire et inspirante pour tous.
Vous êtes un leader collaboratif
Vous avez un style de leadership qui favorise les relations entre les gens, c’est-à-dire qui incite à la collaboration. Dans votre approche, vous misez sur l’importance de travailler ensemble. Vous comprenez d’ailleurs très bien les besoins de votre équipe ainsi que de vos partenaires, et vous cherchez à les satisfaire. Vous savez apaiser les tensions et soutenir la motivation des membres d’une équipe durant une période plus difficile. Vous avez aussi le talent de faire travailler ensemble des personnes qui ont l’habitude de fonctionner en solo.
Vous êtes un leader affectif
Vous avez un style de leadership qui accorde une grande importance à vos collaborateurs. Les relations humaines occupent une grande partie de votre vie professionnelles. Vous aimez organiser des réunions pour consulter les membres de votre équipe ou vos partenaires avant de prendre une décision. D’ailleurs, votre bonne écoute suscite les idées de tous. C’est grâce à elle que vous réussissez à améliorer la créativité collective et l’innovation. Vous avez la capacité de mobiliser les personnes clés avec qui vous travaillez. Vous savez comment chercher la bonne voie.
Vous êtes un leader coach
Vous avez un style de leadership qui vise l’autonomie de chacun. Vous aimez, en effet, passer du temps avec les gens de votre équipe et les aider à se perfectionner en fonction de leurs objectifs. Qu’il s’agisse de discuter de leurs forces ou de leurs faiblesses, vous avez une bonne écoute et vous êtes bienveillant. Vous cherchez à aider vos collaborateurs à accroître leur productivité, à développer leurs compétences et à améliorer leur autonomie. Vous avez une confiance absolue dans les capacités de chacun à s’améliorer. Vous visez le long terme, tout en tenant compte des objectifs les plus proches.

Deux styles de leadership ont un effet négatif sur le climat organisationnel : le leader directif et le leader affirmé. Les leaders qui entrent dans ces deux catégories n’en sont d’ailleurs pas vraiment ; ils se comportent davantage tel des managers autoritaires et méfiants. Leurs préoccupations principales sont le contrôle, l’efficacité et la performance à tout prix, quel que soit l’impact sur leurs collaborateurs [1].

Les quatre autres styles de leadership sont dits affectif, collaboratif, coach et visionnaire. Pour ces styles de leadership, la corrélation avec le climat organisationnel est positive.

Idéalement, le leader devra maîtriser plusieurs styles de leadership, et endosser celui qui sera approprié à la situation rencontrée. On parlera alors de leadership situationnel, que je vous avais présenté ici.

Bonne nouvelle : le leadership est une compétence, et à ce titre, chaque style de leadership peut faire l’objet d’un apprentissage. Si vous souhaitez développer ou améliorer un style de leadership particulier, voici les différentes étapes recommandées pour cette démarche — que vous retrouverez dans mon livre « Mieux Réussir Ensemble ».

1. Déterminer son moi idéal : maintenant que j’ai pris connaissance des compétences souhaitées, je veux devenir qui ?

2. Déterminer son moi réel : qui suis-je aujourd’hui ? Pour ce faire, je dois avoir recours à des feedbacks de la part de collaborateurs et me livrer à une réflexion honnête sur moi-même. Son but : déterminer mes forces, les compétences que je possède déjà ; et mes faiblesses, mes lacunes. Il existe également des tests permettant de se situer. En ce cas, mieux vaut se tourner vers un coach spécialisé en leadership et/ou en intelligence émotionnelle, afin de bénéficier d’un feedback complet à l’issue du test.

3. Fixer un agenda de progression en s’appuyant sur nos forces pour réduire nos faiblesses. Comment les compétences déjà acquises peuvent-elles m’aider à combler mes lacunes ?

4. Expérimenter de nouvelles attitudes et de nouveaux comportements, nouvelles pensées, nouvelles sensations. Solliciter des feedbacks pour valider le fait que je me maintiens sur la bonne voie.

5. Pratiquer les nouveaux comportements et les pratiquer encore et encore, afin de transférer ces nouvelles compétences vers notre Système 1, tout en continuant à demander du feed-back.

Pour aller plus loin : Daniel Golman et coll., Primal leadership, St Martin’s Press, 2001.


[1] Daniel Goleman, Leadership That Gets Results, HBR OnePoint, 2000.

Communiquez-vous comme un djeun ?

Le vendredi matin, au bahut :
– Alex, il y a une soirée clandestine près de chez moi ce week-end.
– Cool. Ça va être sympa.
– Je t’envoie le lieux et l’heure par texto.

Le samedi après-midi, message de Lucas :
« Rdv silo usine desafekt ce soir 9h. Ta ka suivre pano A12 »

Le samedi vers 22h, message de Lucas :
« P***, Alex, t’es où ? »

Le lundi matin, au bahut :
– Alex, t’es pas cool, je t’ai attendue samedi jusqu’à pas d’heure.
– Samedi ?
– À la soirée ! Je t’ai envoyé un message comme j’avais dit.
– Euuuh, j’ai jamais dit que je viendrais Lucas …
– Tu te fous de ma g*** ?

Pour que notre communication soit efficace, tâchons d’éviter toute forme de supposition ou d’interprétation. Soyons précis, et clarifions si besoin la réponse que nous renvoie notre interlocuteur.

Quand la technologie nous met en danger

Dans de nombreux environnements de travail, l’avènement de la technologie couplée à l’imagination des designers donne lieu à des stations de contrôle futuristes et minimalistes. Les écrans tactiles ont fait leur apparition dans tous les domaines de notre vie, que ce soit sur nos appareils électroménagers, dans nos voitures, mais aussi dans notre environnement professionnel.

Intérieur de la Tesla Model 3. La majorité des commandes se font via l’écran tactile, ce qui a valu à un automobiliste allemand d’être verbalisé pour avoir modifié la vitesse des essuies-glaces en conduisant.

Cette situation me rappelle certaines discussions passionnantes que j’ai eues au cours de mes études d’ingénieur. J’avais des amis qui poursuivaient des études d’architecture dans une haute école artistique. J’étais ébahi par la beauté et l’audace de certains projets, mais ne pouvais m’empêcher de questionner la solidité de ces folles structures. « Ça, c’est le boulot des ingénieurs. C’est ton boulot. » Heureusement, dans la vie réelle, l’artiste et l’ingénieur – le rêveur et le réalisateur – coopèrent dès le début d’un projet de construction.

Revenons à nos écrans, et à cet accident survenu le 21 août 2017. Ce jour-là, un destroyer américain est entré en collision avec un pétrolier libérien au large de Singapour, causant la mort de 10 marins et en blessant 48 autres. [1] Le rapport a établi plusieurs causes ayant conduit à ce drame, notamment « les lacunes que représente un système de contrôle tactile en situation d’urgence. »

Image Associated Press

La Navy a dès lors décidé de désactiver certaines fonctions tactiles sur les bateaux de ce type, en ne permettant désormais la gestion de la puissance des moteurs qu’au travers de manette physiques.

D’autres facteurs socio-organisationnels et humains (FSOH) sont mis en avant par les rapporteurs, notamment :

  • le fait que les membres d’équipage étaient insuffisamment formés à la gestion des situation d’urgence sur le pont ;
  • le niveau de fatigue des marins, dont la moyenne de sommeil était seulement de 4,9 heures par période de 24 heures.

Une fois de plus, derrière un erreur humaine se cachent une série de conditions latentes, c’est-à-dire de conditions favorisant la survenue d’un accident. Tant que celles-ci ne sont pas corrigées (comme ce fût le cas en désactivant certaines fonctions tactiles du destroyer), la même erreur pourra se reproduire.

La coopération entre concepteurs et utilisateurs finaux, ainsi que la simulation et la mise à l’épreuve des équipements et des opérateurs en situation normale et anormale, sont cruciales dans le développement de nouveaux équipements et interfaces. Pour des raisons financières, certains veulent court-circuiter ces principes. Ils s’exposent alors à des pertes bien plus importantes.


[1] https://www.huffingtonpost.fr/entry/apres-un-accident-mortel-la-navy-va-abandonner-les-ecrans-tactiles-sur-ses-destroyers_fr_5d52804ee4b05fa9df0443a0

Êtes-vous vraiment certain de vos certitudes… ?

Avis divergents remplis de certitudes, désaccords, vérités indéniables, croyances, … La situation actuelle est un magnifique laboratoire du fonctionnement humain. Elle met en lumière les nombreux biais cognitifs qui influencent nos jugements et nos décisions.

Un biais cognitif est défini comme une distorsion dans le traitement cognitif d’une information. C’est en quelque sorte un raccourci pris par notre cerveau à notre insu, provoqué par le Système 1, hors de la conscience du Système 2. Sa fonction première est de nous simplifier la perception de notre environnement. Cela relève d’un paradoxe intéressant. Sans les biais cognitifs, nous serions submergés par la quantité d’information à prendre en compte dans la plupart des situations ; et avec eux, nous sommes victimes de raccourcis cognitifs pas toujours heureux.
Les biais cognitifs recensés dans la littérature scientifique sont au nombre de 189, comme l’illustre élégamment le codex des biais cognitifs.

Si vous pensez que vous êtes plus alerte que vos semblables quant aux biais cognitifs, et donc moins susceptible d’y succomber, vous êtes probablement sous l’effet du biais de supériorité illusoire, qui conduit chacun de nous à se sentir supérieur aux autres dans un ou plusieurs domaines spécifiques.

Quelle que soit la situation, et l’épidémie Covid-19 n’échappe pas à la règle, les biais cognitifs influencent notre perception des éléments et la manière dont nous les agençons pour construire notre « réalité ».

Le biais d’obéissance à l’autorité nous pousse à croire et à respecter les injonctions données par une personne dont nous reconnaissons la compétence, quelqu’un que nous considérons être « expert », comme un scientifique, ou une femme ou un homme politique.
L’industrie du tabac a exploité ce biais dans les années 1940-50, en ayant recours à des docteurs en médecine afin de promouvoir la cigarette.

Face à la montagne d’informations contradictoires que nous offre internet, c’est également le biais d’obéissance à l’autorité qui conduit certaines personnes à consulter les sites internet de factchecking afin de distinguer une info d’une intox. Et cela sans même se poser la question de qui gère les « vérités » divulguées sur ces sites. Parce que s’ils s’appellent « factcheckers », ils doivent savoir.

Le biais de disponibilité rend plus prégnants les éléments auxquels nous avons été fréquemment et/ou récemment exposés, par exemple une « réalité » répétée chaque jour par les médias. Dans le même ordre d’idée, le fait de compter dans son entourage une personne « à qui c’est arrivé » rend la situation encore plus « réelle ».

Le biais de conformité nous pousse à nous conformer à l’avis général au sein d’un groupe. Il a été démontré par le psychologue Solomon Asch en 1951. Par exemple, si je ne porte pas de masque dans un endroit où celui-ci est recommandé mais pas obligatoire, et que toutes les autres personnes présentes en portent un, je serai très tenté d’en porter un également. En revanche, si je repère une autre personne qui n’en porte pas non plus, je serai conforté dans mon choix initial.

Le biais de confirmation nous conduit à rechercher tous éléments nous permettant de renforcer une certitude, aussi ténus soient-ils, tout en négligeant systématiquement les informations contradictoires. Il nous empêche de nous poser la question « Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? » Dans le même ordre d’idée, le réflexe de Semmelweis désigne notre tendance à rejeter les nouvelles données qui remettent en cause les paradigmes établis. Par exemple, si je suis persuadé qu’un virus est extrêmement dangereux, ou au contraire banal et sans danger, j’aurai tendance à rechercher toutes les informations validant ma croyance initiale.

L’oubli de fréquence de base fait de nous de piètres probabilistes (voir cet article pour un exemple). Sans prendre certaines précautions, les chiffres auxquels nous sommes quotidiennement exposés peuvent dire tout et son contraire.

Le biais d’aversion à la perte et le biais du risque zéro vont influencer nos décisions et nous pousseront à éviter le risque d’une perte (d’argent, de temps, d’un proche, etc.), ou le risque tout court. Cette tendance s’est renforcée depuis que le principe de précaution a été généralisé « pour notre bien ». Or le risque zéro n’existe pas, et chaque décision importante mériterait une sérieuse analyse bénéfice/risque préalable.


Ces deux deniers biais sont guidés par le très puissant sentiment de peur que nous pouvons éprouver dans certaines situations. La peur est la motivation la plus puissante pour l’être humain. Elle peut provoquer les réactions les plus irrationnelles, et nous amener à nous asseoir sur les valeurs qui habituellement régissent nous comportements et nos choix. La peur provoque du stress, et les hormones du stress inhibent notre Système 2, ce qui nous rend incapables d’analyser la situation et d’y apporter une réponse plus appropriée. Nos réactions sont alors guidées par un Système 1 dégradé, motivé par sa seule survie.

Depuis la nuit des temps, la puissance de la peur est bien comprise et maîtrisée par les services de communication, qu’ils soient liés à un parti politique, une religion ou un groupement idéologique.

Comment pouvons-nous nous affranchir (autant que possible) de ces biais cognitifs, de manière à démontrer des comportements plus réfléchis ? En renforçant notre Système 2, seul à pouvoir cadrer son homologue, le Système 1. De nombreuses études suggèrent que la pratique de la méditation, de la pleine conscience, et de toutes les pratiques associées, renforcent notre faisceau neural fronto-strial [1] et facilitent l’accès à notre Système 2.


[1] Sébastien Bohler, Le bug humain : Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher, Robert Laffont, 2019.

Et vous, tomberez-vous facilement dans le panneau ?

Sur l’image ci-dessous, si je vous dis que la couleur de fond des cases marquées A et B est la même (vous pouvez vérifier), vous continuerez à voir que le fond de la case A est plus foncé que celui de la case B [1].

Les illusion visuelles sont une forme de biais cognitifs. Un biais cognitif est un processus mental automatique, donc géré par notre Système 1, que nous avons tendance à reproduire systématiquement dans certaines situations. Un biais cognitif s’apparente à un bug de notre esprit, qui nous conduit à adopter des comportements inefficaces en comparaison à l’extraordinaire capacité de réflexion de notre Système 2 [2]. On peut donc se poser la question de leur raison d’être. Certains biais sont probablement des réminiscences de fonctionnements qui ont jadis été utiles à la survie de notre espèce, alors que d’autres résultent d’adaptations à notre environnement. Ils sont nombreux : 189 ont été recensés par les créateurs du Codex des biais cognitifs [3].

Ce qui est troublant concernant les biais cognitifs, c’est que même lorsque nous en connaissons l’existence et que nous savons dans quelles situations ils sont susceptibles de nous impacter, nous tombons presque systématiquement dans le panneau.

Celui que j’appelle le bais cognitif #1 est le biais de supériorité illusoire. Il nous conduit à nous sentir meilleurs que les autres dans une série de domaines usuels, comme conduire une voiture [4] ou mener à bien ses études [5]. Et il nous persuade que nous sommes davantage capables que nos semblables de déjouer les biais cognitifs. Or un peu de recul (Système 2) nous fera prendre conscience que c’est faux.

Avant de parcourir brièvement les principaux biais cognitifs affectant notre représentation de la situation et nos prises de décision, je rappellerai que notre Système 2 est affaibli en tout ou en partie lorsque nous sommes fatigués, stressés, lorsque nos besoins physiologiques primaires ne sont pas satisfaits, ou lorsque nous sommes sous l’emprise d’alcool ou de drogue. Dans ces états, nous sommes donc encore plus susceptibles de nous faire avoir.

« Notre capacité de réflexion est inhibée par le stress, donc par la peur »

WYSIATI

« What You See Is All There Is », que l’on peut traduire par « Il n’y a rien d’autre que ce que vous voyez ». Dans la majorité des situations auxquelles nous sommes confrontés, nous acceptons la conclusion qui nous est rapidement servie par notre Système 1, sans chercher plus loin.

Biais d’attention

Nous avons tendance à voir notre perception affectée par nos pensées du moment. Par exemple, une femme venant d’apprendre qu’elle attend un enfant a tendance à voir des femmes enceintes, des crèches et des aires de jeu partout.

Bais de disponibilité

Les situations que nous avons rencontrées souvent et/ou récemment nous reviennent plus facilement en mémoire que les autres, et influencent notre raisonnement.

Biais d’obéissance à l’autorité

Nous avons tendance à nous en remettre aux personnes qui représentent une autorité dans leur domaine. Dans l’environnement professionnel, sans un cadre approprié, les liens de subordination peuvent donc facilement se transformer en lien de soumission.

Biais de conformité

Si nous devons donner notre avis au sein d’un groupe, les avis énoncés avant nous par d’autres personnes risquent de nous influencer, surtout s’ils sont unanimes. Le groupe influence nos comportements.

Biais d’habitude

Consiste à tirer des conclusions hâtives et prendre des décisions automatiques sous prétexte que « C’est chaque fois comme ça » ou « On a toujours fait comme ça ».

Effet de halo

Ce biais cognitif affecte notre perception qui va dans le sens de notre première impression. Lorsque nous attribuons un trait positif à une personne, nous avons tendance à lui trouver d’autres caractéristiques positives. C’est également vrai pour les traits négatifs. « Il n’est jamais très soigné, il ne doit pas être intelligent » ou « C’est une jolie femme, elle doit être compétente. »

Aversion à la perte

Nous détestons la sensation de perdre quelque chose (argent, temps, réputation, etc.) Pour qu’un bénéfice potentiel soit perçu comme équilibrant une perte, il doit être de l’ordre de 2,5 fois plus grand que la perte.

Biais de confirmation

Consiste à faire correspondre la réalité à ses hypothèses et ses attentes. Notre cerveau fabrique de la vraisemblance, il fait correspondre nos perceptions à nos croyances. Notre mode automatique est dans une recherche de cohérence par association avec ce qu’il connaît et le rassure.

Le fait de connaître ces biais et leurs implications ne nous permettra que difficilement de ne pas tomber dans le panneau en situation dynamique. En revanche, cela nous aidera à détecter si nos collègues sont en train de se laisser influencer. En équipe, cela nous permettra de Mieux Réussir Ensemble.

Pour conclure, est-il nécessaire que je précise que les professionnels de la communication, les médias, les politiques, les marketeurs, etc. ont une excellente connaissance de ces fonctionnements ? Peut-être les utilisent-ils à nos dépends…


[1] http://persci.mit.edu/gallery/checkershadow
[2] Daniel Kahneman, Système 1 / Système 2 – Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012
[3] https://inertian.wixsite.com/codexbiais
[4] Ola Svenson, Are we all less risky and more skillful than our fellow drivers?, Acta Psychologica 47, pp. 143-148, 1981
[5] Zuckerman et John T. Jost, « What Makes You Think You’re So Popular? Self Evaluation Maintenance and the Subjective Side of the « Friendship Paradox » », Social Psychology Quarterly, American Sociological Association, vol. 64, no 3,‎ 2001, p. 207–223

Comment intégrer les préférences individuelles dans un processus de changement ?

S’il est un fonctionnement humain qui régit tous nos comportements, qui a depuis longtemps été décodé par les psychologues, et qui est utilisé tant par les professionnels de l’accompagnement (qui nous veulent du bien) que par les personnes dont les objectifs sont moins louables, c’est le processus qui nous fait passer à l’action.

Ce processus est le « phénomène idéomoteur ». Son principe est simple : lorsqu’une idée germe dans notre esprit, que nous en soyons à l’origine ou qu’elle nous soit insufflée par autrui, cette idée provoque une émotion, et cette émotion provoque une réaction qui se matérialise par une décision, une action ou un comportement.

Idée -> émotion -> réaction.

J’ai chaud, j’ai envie d’une glace, j’imagine la sensation agréable que me procurera le fait de la manger, et je me dirige vers le congélateur. Mais aussi : la perspective de perdre mon emploi fait naître en moi une certaine anxiété, et je fais des heures supplémentaires pour être bien vu de mon patron.

Tout l’enjeu pour un coach est de susciter chez son client une émotion lui donnant envie d’aller vers l’état recherché, ou d’éviter l’état non désiré. (Ces deux types antagonistes de motivation font référence au métaprogramme « aller vers / s’éloigner de », voir mon article à ce sujet ici)

Dans le cadre d’un processus de changement au sein d’un groupe, la dynamique est identique, et la difficulté réside dans le fait que statistiquement, environ 40% des gens a plutôt tendance à courir après la carotte, alors qu’un autre 40% cherche davantage à fuir le bâton. Les 20% restants fonctionnent aussi bien à la récompense qu’à la punition [1].

Solution : faire en sorte que la communication qui accompagne le changement évoque à la fois ce qu’on cherche à atteindre et ce qu’on cherche à éviter, afin de parler à un maximum de monde.

Remarque : il y a des peurs qui sont universelles, comme celles liées à la perte de notre intégrité physique. Personne ne souhaite « s’éloigner » d’une bonne santé, et tous les critères du premier niveau de l’échelle de motivation de Maslow feront l’affaire. Évoquer les bonnes menaces est un levier puissant permettant de faire faire à la plupart d’entre nous certaines choses que nous refuserions catégoriquement en temps normal. Naomi Klein l’a montré dans « La stratégie du choc » [2]. Et je ne peux m’empêcher d’ajouter que toute ressemblance avec la situation actuelle n’est que pure hallucination.


[1] Selon Rodger Bailey, qui a consacré une partie de sa recherche aux métaprogrammes et a créé le Language and Behaviour Profile

[2] The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism, Naomi Klein, Knopf Canada, 2007